Retour du péplum: du neuf avec de l’antique

Gonflé au péplum © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La Bible et ses Testaments ont inspiré de très nombreux films. Après un long passage à vide, le péplum religieux est de retour. Foi de Noah.

Quand Ridley Scott choisit Russell Crowe pour jouer Maximus dans Gladiator, le genre autrefois florissant du péplum était présumé mort. On sait ce qu’il advint. Une petite quinzaine d’années plus tard, l’acteur néo-zélandais brille dans le puissant et très émouvant Noah de Darren Aronofsky (lire la critique), et pourrait bien ranimer le sous-genre du film biblique, lui aussi déclaré quasi obsolète voici quelque temps. Deux cinéastes visionnaires ont élu le même interprète pour braver les préjugés et rallumer la flamme d’un cinéma d’inspiration antique auquel l’impressionnant Crowe a su donner une nouvelle et forte incarnation. Il se pose en équivalent contemporain, plus réaliste et intérieur, du Charlton Heston qui marqua, dans Ben-Hur et dans The Ten Commandments, l’âge d’or du genre.

La journée de la jupe

Si Gladiator a prouvé que le péplum avait encore de l’avenir, c’est au petit écran, plus qu’au grand, que le genre a fait ces dernières années son retour décisif. Des séries comme Rome (lancée en 2005) et Spartacus (2010) ont fait autant si pas plus pour sa nouvelle popularité qu’un film comme 300. Toges et jupettes moulant de virils appâts ne sont plus jugées ridicules comme naguère, et le glaive se fait gore (modernité oblige) comme la cuisse se fait sexy. Un des plus vieux genres du 7e art, illustré dès les années 1900 et porté à sa prime quintessence par le cinéma italien des années 1910 (Néron, Cabiria, Quo Vadis?), connaît un regain spectaculaire un bon siècle plus tard. Au point de redevenir une priorité pour Hollywood où pas moins d’une dizaine de péplums sont aujourd’hui en cours de production! A savoir notamment des remakes de Ben-Hur, de Spartacus et même de ce Cléopâtre de 1963 que la présence du couple Elizabeth Taylor-Richard Burton n’empêcha pas de finir en échec financier, faisant douter du genre antique jusque-là florissant. Angelina Jolie devrait incarner la reine d’Egypte dans le remake, elle dont le compagnon Brad Pitt fut la vedette du péplum récent le plus rentable: Troy (2004) a rapporté un demi-milliard de dollars au box-office…

Si des péplums furent tournés dans les années 30 et 40 (on compte au total plus de 2200 films et téléfilms dédiés au genre, des origines à nos jours), c’est dans les années 50 et 60 qu’ils flamboyèrent comme jamais. En Italie bien sûr avec d’inépuisables déclinaisons des aventures de héros musclés comme Maciste ou Hercule. Mais surtout à Hollywood qui mit à profit les richesses visuelles du Technicolor et -souvent- du Cinémascope pour faire cartonner une nouvelle version de Quo Vadis? (1951), The Robe (1953, et premier film au format scope), Land Of The Pharaos (Howard Hawks, 1955) et The Ten Commandments (1956, Cecil B. DeMille refaisant son propre film de… 1923). Les personnages historiques servent volontiers d’inspiration (Alexander The Great avec Richard Burton, Julius Caesar avec Marlon Brando en Marc-Antoine), et la mythologie brille de mille feux dans le génial Jason and The Argonauts de 1963.

Miracles à l’américaine

Mais à l’exemple aussi de Ben-Hur (1959), une majorité de péplums hollywoodiens se nourrissent de références bibliques. Ancien et Nouveau Testaments offrent non seulement un réservoir d’images extraordinaire, matière souvent à effets spéciaux spectaculaires, mais ils s’inscrivent aussi, même si pas principalement, dans le contexte d’une religiosité qui n’est guère mise en question à l’époque. Les églises et les temples font encore le plein, en ces années d’immédiat après-guerre. Tout comme aussi les salles de cinéma, la télévision n’ayant pas encore capturé une plus grande audience comme elle le fera progressivement dans les années 60, obligeant l’industrie américaine du film à chercher des solutions nouvelles, avec (déjà) la 3D, le Cinérama (format extra-large, écran courbé). Aussi et plus heureusement en laissant s’exprimer une nouvelle génération de cinéastes créatifs appelés, après la bombe Easy Rider de 1969, à engendrer le « nouvel Hollywood » (Scorsese, Coppola, De Palma, Forman, Spielberg, Lucas, en seront).

Avec la contestation des années 70, et la popularité du péplum ayant vécu (la science-fiction avait pris le relais comme genre dominant), le film biblique se fit aussi rare que les cheveux sur la tête de Yul Brynner, le Pharaon des Ten Commandments. On vit même, en l’absence remarquée de Dieu, le Diable tenir la vedette dans la nouvelle vague de films fantastiques emmenés par The Exorcist (1973) et The Omen (1976)… Quant aux musclés du défunt péplum héroïque, les nouveaux maîtres de l’action dopée aux stéroïdes les avaient remplacés: l’heure de Stallone et de Schwarzenegger -qui auraient pu faire de si craquants Maciste et Hercule!- avait sonné.

Certains historiens du cinéma expliquent en partie l’âge d’or du péplum, dans les années 50, par l’existence à l’époque du fameux Code Hays d’autocensure à Hollywood. Sous couvert d’inspiration biblique et donc de bonne cause, il s’agissait d’inscrire dans les images plus de sexe et de violence qu’aucun autre genre n’en aurait autorisé! Les jeux du cirque, les chrétiens jetés aux lions, les délires pervers de Sodome et Gomorrhe, offraient une justification inespérée… Le renouveau du genre annoncé de loin par Scorsese et son controversé The Last Temptation of Christ (1988) se produit dans un contexte libéré de ce type de contrainte. Mais il survient dans un contexte de retour du religieux sous des formes volontiers fondamentalistes. Le prophète mis en scène par le très catholique et traditionnaliste Mel Gibson dans The Passion of Christ (2004) est on ne peut plus différent de celui célébré façon comédie musical rock 21 ans plus tôt dans Jesus Christ Superstar. La caméra s’appesantit sur les souffrances du fils de Dieu, avec une cruauté inédite destinée à frapper l’imagination, et à passer en force comme la nouvelle droite religieuse aux Etats-Unis aime le faire. Moins extrême mais relayant cette ferveur militante, le Mary annoncé pour bientôt, et qui évoque la figure de la Vierge mère de Jésus, bénéficie d’une promotion particulière dans les mouvements chrétiens militants. Ce film fait partie d’une vague spectaculaire qui verra aussi, outre le saisissant Noah d’Aronofsky, paraître des films comme Son of God (sur la vie de Jésus), Jesus No Greater Love (en partie financé par des congrégations), Gods And Kings (sur Moïse, réalisé par Ang Lee), et Exodus (sur l’histoire des Hébreux en Egypte, filmée par Ridley Scott). L’industrie cinématographique n’a pas attendu la crise actuelle pour faire du neuf avec de l’ancien, elle qui recycle sans cesse séries télévisées des sixties et comic books plus vieux encore. Mais quelque chose nous dit que la floraison de films inspirés de la Bible exprime autre chose que la seule volonté de trouver une nouvelle poule aux oeufs d’or. L’air du temps s’y exprimera sans doute. On espère qu’il sera respirable…

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