Restauration de films: mode d’emploi

© Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Exceptionnellement, la Cinematek ouvre l’un de ses extraordinaires dépôts de films au public et célèbre ses 75 ans. Occasion pour Focus de suivre les étapes de la restauration d’un long métrage de la Belge Chantal Akerman.

Jusqu’ici, l’adresse fut tenue strictement privée, comme un secret d’état mousseux qui ne se traiterait qu’entre initiés. De l’extérieur, l’immeuble ixellois évoque une HLM rétro d’un territoire de l’Est. Cet ancien garage, l’un des trois dépôts de la Cinematek, ouvrira pour la toute première fois ses portes au public les 16 et 17 novembre prochains(1). Sous prétexte de fêter l’anniversaire -les 75 ans de la Cinémathèque Royale de Belgique rebaptisée Cinematek début 2009-, il y a aussi la volonté d’exposer les richesses de dizaines de milliers de films en tous genres. Hollywoodiens glorieux autant que marginaux, underground, ludiques ou simplement rares. Voire uniques. Belges aussi, puisque la mission de conservation de cette institution fédérale est de protéger le patrimoine cinématographique du pays. 71 000 titres, 150 000 copies, dont une large part garnit les étagères infinies de ce coin de la rue Gray, à deux pas de Flagey. Même à la troisième visite, on reste fasciné par le bunker vorace qui flamberait d’une collectionnite aiguë, engloutissant des dédales de films multiples -y compris des valises antiques renfermant du 70 mm-, perdant le nord devant ces millions de kilomètres de celluloïd, parfois sortis de leurs boîtes métalliques à la façon de lutins égarés du 24 images par seconde. Deux frigos géants à 6° assurent les titres les plus précieux, mais c’est au 4e étage que se trouve le nerf de la guerre: on y restaure les films, principalement en convertissant la pellicule en digital. Opération qui freine la décomposition chimique des images. Et les reporte, nettoyées, réparées, réhabilitées, scannées sur un support numérique (supposé) moins fragile. On y a vu -via un reenactment- les différentes étapes du travail menées sur News From Home, film de 89 minutes de Chantal Akerman daté de 1977. En temps réel, le processus a pris plusieurs mois. ˜

Restauration de films: mode d'emploi
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1. Bruno Mestdagh, responsable de la collection digitale, va chercher les 5 bobines d’images et 4 de son dans l’une des deux chambres refroidies à 6° de la rue Gray. Un autre dépôt existe à Ixelles, un troisième à Namur. « Le nombre de films digitalisés est encore faible: de 1 à 2% des collections. On a choisi News From Home d’Akerman, tourné en 16 mm, parce qu’il y a une demande à l’international: le film, sur support digital, vient d’être projeté au Moma de New York . »

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2. L’examen de l’état de la pellicule se fait bien sûr manuellement. « Image par image -et il y en 24 par seconde…-, il s’agit de réparer les déchirures, les collages usés, de préparer les bobines pour qu’on puisse les scanner et entamer la digitalisation. On n’essaie pas d' »améliorer » le film comme le voudraient parfois certains directeurs photo (…), on ne le change pas, on essaie d’obtenir quelque chose de similaire à l’original. »

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3. L’étape du scannage passe par le Spirit DataCiné, machine (onéreuse) de fabrication allemande qui transfère les copies 16 et 35 mm en images digitales. « La machine scanne le film, plan par plan, regarde les niveaux de couleurs. A chaque étape, nous utilisons des softwares différents dont le coût peut grimper à 10 000, voire 20 000 euros. Le son est copié à part et, comme il est en général moins abîmé, il ne subit pas de véritable restauration. »

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4. La restauration proprement dite consiste à enlever les griffes, stabiliser l’image, réparer les déchirures, retoucher les fissures. « On rend quasiment la déchirure invisible, via une sorte de Photoshop sophistiqué. C’est l’étape la plus longue, elle peut durer plusieurs mois et les techniciens se relaient régulièrement devant le film parce qu’il est difficile de tenir 8 heures par jour sans se fatiguer les yeux et donc, risquer de laisser passer des choses. »

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5. L’étalonnage de News From Home « a consisté à densifier les noirs, il y avait beaucoup de grain dû à l’utilisation nocturne du 16 mm. Le film comporte aussi des scènes de métro, où la lumière tapait trop dans le rouge ou le vert. Il a fallu équilibrer ces couleurs-là. » Sur l’écran, New York ressemble à un mélange de désert urbain des Tartares et de fourmilière repue.

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6. « Le « produit final » est numérique: le DCP (Digital Cinema Package) est un fichier qui peut se mettre sur un disque dur et qui, selon la longueur du film, ses couleurs, va faire, entre 100 et 200 gigabytes. On fait également un master digital, l’équivalent d’un négatif film, qui peut peser jusqu’à 2 terabytes. On ne peut pas le projeter comme tel, ce serait trop lourd, donc les copies destinées au cinéma, par exemple, sont compressées, même si le terme n’est pas très populaire chez les réalisateurs… On stocke tout cela sur un serveur, mais le nôtre n’est pas encore assez puissant, donc on utilise des cassettes datas, LTO, qui ont une vie de cinq-six ans. Après, il faut les recopier… »

  • (1) de 10 à 18 heures au 178 rue Gray à 1050 Bruxelles, visites guidées par groupes de maximum 15 personnes, réservation indispensable entre le 4 et le 13 novembre à info@cinematek.be, 02 551 19 00. Plusieurs autres activités célébrant les 75 ans auront lieu en divers endroits de Bruxelles, www.cinematek.be

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