Rencontre avec le duo de scénaristes derrière Solo: A Star Wars Story

Dans Solo, Alden Ehrenreich incarne Harrison Ford jeune, mais toujours flanqué du grand Chewbacca. © JONATHAN OLLEY/IMAGENET
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Le nouveau Star Wars, consacré à la jeunesse du personnage jadis campé par Harrison Ford, porte l’empreinte du scénariste historique Lawrence Kasdan, aujourd’hui flanqué à l’écriture de son fils Jon.

Après George Lucas, il est sans doute celui qui a le plus contribué à façonner le visage de la saga Star Wars, dont il serait en quelque sorte l’Obi-Wan Kenobi. Scénariste de L’Empire contre-attaque en 1980 puis du Retour du Jedi trois ans plus tard, soit les deuxième et troisième épisodes de la trilogie matricielle, Lawrence Kasdan a également écrit le tout premier Indiana Jones pour Steven Spielberg en 1981. A lui seul, il a donc posé quelques-unes des plus solides fondations sur lesquelles le cinéma commercial hollywoodien repose aujourd’hui, qui débite à la chaîne des blockbusters aux budgets colossaux et aux récits appelés à imprimer l’imaginaire collectif à la manière de mythes modernes.

Tout l’univers « Star Wars » repose sur une dichotomie immémoriale entre le bien et le mal

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Après trois décennies passées à écrire (Bodyguard avec Kevin Costner et Whitney Houston) mais surtout à réaliser ses propres projets (les westerns Silverado et Wyatt Earp, le drame choral Grand Canyon, la comédie romantique French Kiss…), le natif de Miami fait son grand retour dans la galaxie Star Wars en 2015 en signant le scénario du Réveil de la Force, septième film d’une franchise ressuscitée dès 1999 dans un esprit de développement tous azimuts. « J’étais le premier surpris qu’on fasse à nouveau appel à moi, se souvient Lawrence Kasdan, 69 ans, alors qu’on le retrouve dans sa suite cannoise au lendemain de la première de Solo: A Star Wars Story sur la Croisette. Pour être tout à fait honnête, je pensais en avoir fini avec tout ça. Disney n’avait pas encore racheté Lucasfilm quand les pontes de la société de production m’ont annoncé qu’ils allaient mettre en chantier d’autres épisodes. Je leur ai dit que Dieu les bénisse mais que je n’étais pas intéressé. C’est là qu’ils ont sorti leur joker et m’ont demandé si je serais partant d’écrire un film totalement consacré au personnage de Han Solo. J’ai craqué et j’ai dit d’accord. »

Deux semaines plus tard, le géant aux oreilles de Mickey fait main basse sur le magasin de jouets de George Lucas et, dans la foulée, Lawrence Kasdan accepte de donner un simple petit coup de main sur le scénario du Réveil de la Force, qu’il finira donc par prendre complètement à son compte avant de faire appel à son fils Jon pour concrétiser avec lui le seul projet qui l’intéresse vraiment: un spin-off (1) consacré à la jeunesse du personnage jadis campé par Harrison Ford. Au risque de parfois fâcher les fans, Lawrence Kasdan a souvent décrit la saga Star Wars comme étant par essence plutôt rigolote. Logique, somme toute, que son personnage fétiche ait dès lors toujours été celui de Han Solo, mercenaire insolent motivé par l’appât du gain, moins démissionnaire que séducteur impénitent. « Tout l’univers de Star Wars repose sur cette dichotomie immémoriale entre le bien et le mal. Il y a d’une part la Force et de l’autre son côté obscur. Solo, lui, n’est ni blanc ni noir. Mais surtout, il est tellement amusant. Les gens l’adorent. Ecrire un film entier autour de sa personnalité requérait donc de trouver le ton adéquat, à savoir quelque chose de très divertissant. »

Lawrence Kasdan (au centre), avec son fils Jon, et George Lucas, créateur de La Guerre des étoiles.
Lawrence Kasdan (au centre), avec son fils Jon, et George Lucas, créateur de La Guerre des étoiles.© JOE SCARNICI/GETTYIMAGES

Univers en expansion

Tout juste débarqué sur les écrans, Solo: A Star Wars Story, mélange efficace mais relativement attendu de fun et d’action, pose surtout la question de la pertinence et de l’intérêt de ce qui ressemble déjà furieusement à une nouvelle ère pour les blockbusters, celle des univers en constante expansion. Prequel, sequel, spin-off, mais aussi téléfilm, série d’animation, livre, comic book, jeu vidéo… Aujourd’hui largement imité, et même dépassé, par les productions de super-héros Marvel ou DC, Star Wars fait en quelque sorte figure de pionnier en la matière et, même si l’on s’en tient au strict cadre cinématographique, on voit mal la tendance s’inverser dans un futur proche. Si les raisons en sont bien sûr essentiellement commerciales, cette nouvelle réalité à vaste échelle induit également une nouvelle façon d’écrire des films, où il s’agit parfois davantage de combler les trous de la bio d’un personnage à partir de ce qui a déjà été imaginé précédemment que de réellement proposer un récit original possédant une consistance propre. « Il y a aussi quelque chose de très excitant là-dedans, tempère Lawrence Kasdan. Si vous ressentez un certain intérêt pour un personnage, vous avez envie de savoir d’où il vient, et de comprendre ce qui l’a façonné. »

Jon, son fiston, va plus loin: « Nous faisons face à de nouveaux défis dans la conception de productions à gros budgets aux Etats-Unis aujourd’hui. Il faut pouvoir attirer énormément de spectateurs sur des franchises familières tout en essayant de proposer quelque chose qui ne soit pas qu’un simple produit de consommation. C’est ce qu’a parfaitement réussi Ryan Coogler avec Black Panther: il s’est emparé d’une forme populaire dominante, le film de super-héros, et en a fait quelque chose de personnel. Mais la marge de manoeuvre est clairement beaucoup plus limitée que dans les années 1970 ou 1980. »

Fan service

Tous supports confondus, l’univers Star Wars est désormais à ce point étendu qu’écrire un nouveau film destiné à intégrer la saga de manière cohérente s’apparente en effet parfois à un véritable casse-tête pour les scénaristes, surtout quand on sait à quel point les fans peuvent se montrer pointilleux. « Il y a un consultant entièrement dédié à la mythologie Star Wars chez Lucasfilm, sourit Lawrence Kasdan. Entre nous, on l’appelle le gardien de la couronne sacrée. Il est incollable. Personnellement, je ne m’embarrasse pas trop de ce genre de considérations. Mais Jon est plutôt du style à revérifier tous les détails trois fois sur Wikipédia. » « Cette logique est assez infernale, confirme Jon Kasdan. A plusieurs niveaux. Par exemple, si vous innovez et déviez considérablement de la forme définie, les fans vont se fâcher sous prétexte que ce n’est plus du Star Wars. Mais si vous vous y conformez trop parfaitement, ils vous tombent dessus en disant que ce n’est que du rabâchage. On est pris dans un étau (sourire). »

(1) Film centré sur un personnage secondaire d’une oeuvre préexistante et s’épanouissant dans le même univers fictionnel.

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