Laurent Raphaël

Recyclage, le cinéma à bout de souffle

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Depuis quelques années, Hollywood ne jure plus que par les suites, les reboots, les mashups, les sequels, les prequels. Le cache-sexe d’un aveu de faiblesse?

A quoi reconnaît-on le manque d’inspiration? A l’étalage de platitudes. Mais encore? A une certaine paresse dans le choix des sujets. Exactement. Un petit remake par-ci par-là ne fait de mal à personne. Il est même source de plaisir et de frissons quand c’est John Huston (pour Le Faucon maltais, resucée d’un film de 1931) ou John Carpenter (pour La Chose, déjà porté à l’écran en 1951) qui s’y collent. Toutes les époques ont pratiqué le recyclage. Mais à petites doses. Souvent pour explorer une dimension psychologique ou idéologique absente dans l’original. Ou simplement pour remettre l’arsenal des effets spéciaux au goût du jour.

Rien à voir donc avec le pompage de la nappe artistique à grande échelle actuel. Depuis quelques années, Hollywood ne jure plus que par les suites, les reboots, les mashups, les sequels, les prequels. Un emballement qui ressemble un peu trop à un plan marketing paraphé par les actionnaires pour être honnête. Même si le résultat n’est pas toujours décevant. A défaut d’avoir mis tout le monde d’accord, les rejetons de Star Wars ou de Mad Max ont globalement tiré leur épingle du jeu. Et on a même vu des franchises sortir subitement de l’impasse après quelques épisodes carnavalesques. Comme Batman quand Nolan a repris la barre par exemple. Reste que ces quelques arbres pleins de vitalité cachent mal la forêt d’épineux qui doivent plus leur présence à la voracité de producteurs qu’à une vision artistique holistique. A moins, comme on l’évoquait en ouverture, que toute cette agitation soit le cache-sexe d’un aveu de faiblesse, quelque chose comme les prémices d’une panne générale de courant dans le générateur de l’imagination. D’autant qu’on n’est qu’à l’aube d’une déferlante de remakes, Alien, Avatar, Ghostbusters, Top Gun -oui, même Top Gun!- figurant sur une très longue liste.

Depuis quelques annu0026#xE9;es, Hollywood ne jure plus que par les suites, les reboots, les mashups, les sequels, les prequels. Le cache-sexe d’un aveu de faiblesse?

D’autres symptômes vont dans le même sens que ce diagnostic alarmiste. Comme l’utilisation abusive de l’étiquette « Inspiré d’une histoire vraie », sous prétexte que la réalité dépasse la fiction. Un gimmick qui s’est souvent vérifié mais qui a tendance à se muer en refrain publicitaire, comme si le simple fait de puiser dans le passé garantissait un certain niveau de finition. Une sorte de label de qualité en somme. L’enjeu est clair dans le chef du studio, sinon du réalisateur: titiller l’attention du téléspectateur en lui relatant des événements, parfois avec beaucoup de liberté, dont il a déjà entendu parler. Après une année 2015 déjà copieuse en rechapage de vieux pneus, 2016 s’annonce encore plus fertile. Avec déjà quelques grands crus, comme Spotlight, Steve Jobs, The Revenant, The Big Short ou El Clan (lire le Focus du 18 mars prochain).

Le cinéma n’est pas le seul à chasser sur les terres de la résilience. La bande dessinée lui a joyeusement emboîté le pas. On ne compte plus les biographies dessinées de célébrités, de Picasso à Anne Frank en passant par Einstein ou Billie Holiday, avec quand même pas mal de déchets à la clé. En tout cas suffisamment pour s’interroger sur les raisons de cette épidémie. Et quand ils ne cèdent pas aux sirènes hagiographiques, les éditeurs ont méchamment tendance à repasser toujours les mêmes plats. Les Tintin, Astérix et autres valeurs sûres ne quittent jamais longtemps les rayons. Pour réveiller l’intérêt, on leur invente de nouvelles aventures posthumes ou on les rajeunit en les confiant à des auteurs dans le vent. Là encore, c’est moins le résultat en dents de scie qui importe qu’un certain systématisme à se replier sur le patrimoine.

Ce réflexe frileux secoue pareillement en musique sous la forme de rééditions à gogo dont les labels inondent le marché. Reconditionnées avec des inédits parfois rachitiques, les idoles increvables renaissent régulièrement de leurs cendres, comme Jeff Buckley aujourd’hui (lire également le Focus du 18 mars). L’offre répond simplement à la demande, nous dira-t-on. Mais celle-ci est artificiellement entretenue par une nostalgie riche en cholestérol. Point trop n’en faut. Car pour se régénérer, l’être humain a besoin aussi d’arpenter des espaces vierges, de se confronter à l’inconnu sorti tout droit de son imagination. Sous peine sinon de voir ses rêves se racornir et se dessécher. Célébrons le meilleur du passé mais prenons garde à ne pas construire le mur passéiste de notre propre impasse.

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