Quand les thèmes adultes s’invitent dans le cinéma d’animation

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Matthieu Reynaert Journaliste cinéma

Présenté comme le premier film en images de synthèse interdit aux enfants, Saucisse Party s’inscrit tout de même dans une longue tradition de films amenant des thèmes adultes dans le cinéma d’animation.

S’il existe un pionnier du genre à saluer en priorité c’est certainement Ralph Bakshi. Adepte du processus de la rotoscopie (qui consiste à calquer les dessins sur des prises de vues réelles pour obtenir une animation très réaliste), il est notamment l’auteur de la première adaptation, très noire, du Seigneur des Anneaux au cinéma. Mais c’est sans doute son premier film, Fritz the Cat (1972) qui reste le plus culte. Mettant en scène les errances hallucinogènes d’un chat dans le New York protestataire des années 60, ce long métrage fut le premier film d’animation classé X aux États-Unis.

La raison en était bien sûr les scènes de sexe explicites, raison la plus évidente pour qualifier un film « d’adulte ». Suite au succès de Fritz, les dessins animés érotiques se multiplient dans les années 70. Par exemple, l’adaptation de la bande dessinée culte Heavy Metal ou, dans un style radicalement différent, La Honte de la jungle de notre compatriote Picha. Cette parodie de Tarzan, pornographique mais surtout franchement absurde, a fait le tour du monde malgré les efforts des héritiers d’Edgar Rice Burroughs.

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Bakshi revient lui tardivement au genre en 1992 avec Cool World. Film ambitieux mêlant acteurs réels, rotoscopie et cartoons traditionnels. Il y raconte l’histoire d’un dessinateur obsédé par l’idée de faire l’amour à l’héroïne qu’il a créée. En tombant littéralement dans sa planche à dessins, il va découvrir que la demoiselle n’est pas contre… Malmené par la Paramount qui en gomme les aspects les plus provocateurs, puis absurdement vendu comme le successeur de Roger Rabbit, le résultat est un bide et marque la fin de la carrière de son réalisateur. Ce qu’Hollywood n’a pas pardonné à Bakshi, ce n’est pas tant le ton de son film que la somme d’argent perdue! En effet, les films d’animation sont plus longs et plus onéreux à produire que les autres et c’est dans l’espoir d’être rentables qu’ils sont traditionnellement destinés au public le plus large possible.

C’est pourquoi le succès d’une série à l’animation aussi rudimentaire que South Park quelques années plus tard est un événement. Bien plus grossier et polémique que sa grande soeur Les Simpsons, le show télé de Matt Stone et Trey Parker passe à la vitesse supérieure en 1999. Le titre original de South Park Le Film, « plus gros, plus long et non circoncis« , annonçait la couleur et les fans ne furent pas déçus par ce que le Guinness Book considère encore comme le film le plus vulgaire de l’Histoire. Mais cette pochade se double d’une brillante satire du bellicisme américain. Plutôt que de prendre leurs responsabilités et surveiller leurs enfants, les parents de nos héros y partent littéralement en guerre contre le Canada à cause d’un… dessin animé vulgaire! La boucle est bouclée.

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De l’autre côté du Pacifique, on a une tout autre façon de voir. Au Japon, les mangas et les anime s’adressent depuis longtemps à tous les publics et les Nippons ont souvent donné l’exemple avec des films d’animation plus mûrs. Caractérisés du point de vue occidental par leur violence, ils explorent aussi des thématiques philosophiques. Pensons à deux chefs-d’oeuvre de la science-fiction: le précurseur Akira de Katsuhiro Otomo (1988), avec ses scènes d’action éblouissantes dans un futur où la technologie a enfanté l’anarchie, et le vertigineux Ghost in the Shell de Mamoru Oshii (1995) dont l’héroïne, un androïde au service de la police, vit une profonde crise existentielle.

Sexe, violence, et après?

Car finalement quoi de plus « adulte » que ces terribles questions face auxquelles seule la longévité peut nous placer? Le sens de la vie, de la mort, la valeur du travail par rapport aux sentiments… Autant de thématiques qui semblent a priori ne pas nécessiter l’apport de l’animation. Pourtant les cinéastes qui ont bien voulu se donner cette peine ont produit quelques oeuvres majeures. Persepolis de Marjane Satrapi (2007), Valse avec Bachir d’Ari Folman (2008) ou Le Tombeau des lucioles d’Isao Takahata (1988) sont chacun à leur manière parvenus à mettre en scène les horreurs de la guerre qu’une caméra ne peut pas toujours décemment capter.

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Quant au maître Hayao Miyazaki, il nous a livré en 2013 son oeuvre la plus adulte et la plus personnelle avec Le Vent se lève, où il raconte la vie torturée de l’ingénieur aéronautique créateur des avions de chasse Zéro, utilisés notamment pour bombarder Pearl Harbor. Ce film contient entre autres moments de grâce une des scènes d’amour les plus sobres et bouleversantes de ces dernières années.

Ainsi, on le voit à travers cette liste bien incomplète, le film d’animation pour adultes recouvre un spectre aussi large que l’esprit créateur le lui permet et ne se caractérise pas forcément par son outrance, comme c’est le cas de l’indigeste Saucisse Party. Les dessins libèrent l’imagination et peuvent démultiplier l’impact d’une image, mais ils peuvent aussi scruter nos âmes et nous surprendre dans notre intimité. Et ce d’autant plus que nous avions baissé la garde, nous qui pensions bêtement que « les dessins animés, c’est pour les enfants« .

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