Portrait: Jan Bijvoet

Borgman © Cinéart
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Ayant fait l’essentiel de sa carrière sur les planches, l’acteur anversois tient aujourd’hui le premier rôle de Borgman, la comédie noire du réalisateur Alex van Warmerdam.

Un film hollandais en compétition à Cannes, voilà 38 ans que cela n’était plus arrivé (il s’agissait, pour la petite histoire, de Mariken van Nieumeghen, de Jos Stelling, qui ne bouleversa point, euphémisme, l’histoire du Festival). C’est dire si la sélection, au printemps dernier, de Borgman, le dernier opus d’Alex van Warmerdam, aura mis fin à une longue frustration; un peu comme si Jürgen Van den Broeck devenait, en 2014, le premier Belge à gagner le Tour de France depuis Lucien Van Impe. Sans surprise, il règne dès lors une douce euphorie sur la plage accueillant la promotion du film: toute la colonie batave s’est donné rendez-vous dans ce carré ensoleillé, rejointe par un contingent nourri de journalistes belges. Et pour cause puisque, si Borgman bat pavillon hollandais, le rôle-titre est, pour sa part, allé à un acteur anversois, Jan Bijvoet -lequel, fort de ses 46 ans et d’une expérience tout-terrain, profite de l’instant avec le petit sourire de celui à qui on ne la fait pas, sa fille adolescente à son côté.

Non content de rappeler au bon souvenir des cinéphiles le nom d’Alex van Warmerdam, réalisateur, au crépuscule des années 90, des fort estimables La robe ou autre Little Tony, Borgman leur aura donc également révélé le talent d’un acteur ayant fait des planches son terrain de prédilection. « Le théâtre, c’est ma vie, résume Bijvoet tout de go, alors qu’on l’invite à retracer son parcours. J’y ai goûté au sortir de l’école (il est issu du Herman Teirlinck Institute, à Anvers, ndlr), et après quelques tâtonnements, j’ai commencé à vraiment croire à un moyen d’expression qui m’a permis de rencontrer mes aspirations artistiques. » Entre De Blauwe Maandag Compagnie, het Toneelhuis et le Theater Zuidpool, dont il fut par ailleurs l’un d’un directeurs artistiques, l’acteur poursuit une carrière fructueuse, qui le tient, pour l’essentiel, éloigné des écrans, petits ou grands -même si les téléspectateurs du Nord du pays auront reconnu en lui le JB de la série Van vlees en bloed, et qu’on l'(entre)vit par ailleurs dans Ad Fundum, d’Erik Van Looy, ou dans le Nowhere Man de Patrice Toye. « Pendant longtemps, rien ne s’est vraiment passé pour moi, pas plus au cinéma qu’à la télévision. Je n’en avais pas besoin, et je n’avais pas non plus le temps. Lorsqu’on me demandait si j’étais disponible pour jouer un rôle deux mois plus tard, je répondais invariablement non, étant requis par le théâtre. Au cinéma ou à la TV, les tournages se montent six mois à l’avance, mais au théâtre, on planifie jusqu’à deux ou trois ans en amont. Ces agendas ne coïncident pas. Et lorsqu’il m’arrivait de jouer un petit rôle dans un film ou une série, je ne trouvais pas cela particulièrement agréable, parce que cela restait souvent trop superficiel. Ce qui explique qu’on ne m’y ait que fort peu vu jusqu’à présent. »

Liberté de mouvement

Les choses pourraient changer avec Borgman, qui vient après sa participation remarquée à The Broken Circle Breakdown, le film de Felix van Groeningen, occupé à cartonner un peu partout, et notamment en France, sous le nom d’Alabama Monroe (sic). Sous les traits de cet individu énigmatique bouleversant le quotidien d’une famille aisée -on songe, inévitablement au Teorema de Pasolini-, Bijvoet crève un écran qu’il occupe pratiquement à chaque plan. Si le comédien n’était guère enclin à s’engager au cinéma auparavant, il raconte avoir accepté la proposition de van Warmerdam avec un certain empressement. « Je connaissais son travail au théâtre de longue date, notamment avec The Mexican Hound Theatre Company, c’était tout simplement fantastique. Alex écrivait et mettait en scène, tandis que son frère Vincent composait la musique, et c’était incroyable: l’époque était au théâtre musical, une association a priori étrange de deux disciplines, et ils étaient les seuls, à mes yeux, à tirer leur épingle du jeu. Et puis, ses premiers films avaient une saveur toute particulière, si bien que lorsqu’il m’a contacté, je n’ai pas hésité. » L’expérience ne l’aura certes pas déçu, lui qui évoque encore un tournage voisin du théâtre par la méthode de travail pour un résultat on ne peut plus cinématographique cependant, mais aussi sa joie de se retrouver sur la Croisette: « C’est un grand honneur d’être ici, surtout pour un film que je puis soutenir sans réserves. Artistiquement, je suis à 100 000 % derrière Borgman. » Quant à savoir si cet artiste polyvalent -il est également musicien au sein de Kras, collectif dont un album a été produit par Blixa Bargeld- s’est trouvé des accointances avec Camiel Borgman, ce personnage d’outsider, par-delà son « mystère total »: « Je n’ai bien sûr rien à voir avec Borgman, qui est une figure que nous avons dessinée, mais j’ai des affinités avec la liberté et l’imagination avec lesquelles il organise ses mouvements… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content