Patti Cake$, « une sorte de Tony Soprano (du rap) au féminin »

Danielle Macdonald, révélation gouailleuse du film dans le rôle-titre. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Avec Patti Cake$, son premier long métrage, l’Américain Geremy Jasper signe une comédie sociale au rap de prolos anti-sexy placé sous le signe d’un jubilatoire sens de la formule qui claque. Emballante mise à flow.

« J’avais 23 ans et j’étais en train de rouler dans Jersey avec un ami qui bossait dans une pharmacie. On écoutait une radio de hip-hop. Soudain, j’ai éteint le poste et j’ai dit: « Tu verras, un jour l’une de ces grosses nanas qui traînent dans le coin va devenir la nouvelle sensation rap du moment, je le sens. Une sorte de Tony Soprano au féminin. » » La scène se passe en l’an 2000. À l’époque, Geremy Jasper vit dans la cave de ses parents à Hillsdale, dans le New Jersey. Son grand-père s’est cassé la hanche et squatte la télé toute la journée. Jasper, lui, cachetonne comme barman en attendant de faire quelque chose de sa vie. « Quand l’idée de ce personnage m’est venue, jamais je n’aurais imaginé qu’un jour cela donnerait un film. Moi-même je ne nourrissais absolument pas le dessein de devenir réalisateur à cette époque. J’étais juste vaguement musicien. Ou plutôt aspirant musicien. »

La musique, ce blanc-bec aux longs cheveux filasses qui semble tout droit sorti de Wayne’s World est tombé dedans quand il était petit. Un peu comme Obélix et la potion magique. « J’étais dingue de Run-DMC à l’âge de huit ans et l’année suivante je rappais pour la première fois dans un concours de jeunes talents. J’étais court sur pattes, blond, joufflu, avec une veste en cuir noir et des bijoux piqués à ma mère: un mini-Patti Cake$, en somme (sourire). » Patti, on l’aura compris, c’est le nom de l’anti-héroïne bigger than life du premier long métrage qu’il signe aujourd’hui (lire la critique du film), comédie sociale où ce vilain petit canard du prolétariat se fantasme du matin au soir en improbable déesse du rap game. « Quand j’ai commencé à faire du cinéma, j’ai su immédiatement que je voulais tourner quelque chose en lien avec la musique. Mais ce n’est qu’en 2012, alors que New York et Jersey se relevaient difficilement du passage de l’ouragan Sandy que, paf!, l’image de Patti m’est revenue en flash. Il était temps de raconter cette histoire pour de bon. »

C’est qu’entre-temps, Jasper a étudié le cinoche en compagnie du camarade Benh Zeitlin, le futur réalisateur de Beasts of the Southern Wild, puis s’est fait les dents dans la pub (Evian, Heineken) et le vidéoclip (Selena Gomez, Florence + The Machine) avant de signer un court expérimental, Outlaws, où il filme David Beckham en motard ténébreux. De son propre aveu, Patti Cake$ aujourd’hui est bourré d’éléments à la fois fictionnalisés et féminisés de sa propre biographie. « Il est plus évident pour moi d’écrire à partir d’une perspective féminine. Je ne sais pas pourquoi, c’est comme ça. Il se trouve que j’ai grandi entouré de femmes solides, à la personnalité très marquée. Et aussi que mon père est un excellent coach de basket féminin. Il transforme des adolescentes mal dans leur peau en championnes. Littéralement. Peut-être que quelque part, inconsciemment, j’ai voulu faire la même chose… »

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Numéro gagnant

À bien des égards, Patti Cake$ peut être appréhendé comme l’anti-8 Mile par excellence, notamment parce qu’il n’est pas construit comme une inexorable montée vers la réussite et le succès. Jusqu’au bout, en effet, le film est une affaire de hauts et de bas. Certains y voient aussi une version blanche de Precious. Raccourci sans doute un peu facile, mais qui a le mérite de souligner l’intérêt de Jasper pour les marginaux, les déclassés, les oubliés du rêve américain… « Mon affection va toujours vers les outsiders, les underdogs, acquiesce le cinéaste. Cette sublimation du sex-appeal véhiculée par l’industrie musicale me fatigue énormément. C’est d’un ennui… J’aimais également beaucoup l’idée de subvertir les clichés véhiculés par le milieu du hip-hop avec ce personnage qui rêve de gloire mais est à la fois 1) une femme, 2) blanche et 3) pas franchement sexy. »

Dans le rôle de Patti, la jeune Australienne Danielle Macdonald, 26 ans, mélange inimitable de gouaille hâbleuse et de sensibilité à fleur de peau, fait des étincelles. « Le film c’est elle, insiste Geremy Jasper. Vous savez, j’ai vraiment vécu la très longue étape du casting comme une grande loterie. J’ai même envisagé d’abandonner à un moment. J’en étais arrivé à penser que je ne parviendrais jamais à tirer le numéro gagnant. Il faut dire que le personnage réclamait non seulement certaines caractéristiques physiques mais aussi des aptitudes très précises en termes de comédie, de chant, de tempérament… J’ai fini par rencontrer Danielle grâce à un Sundance Lab organisé par Robert Redford dans l’Utah. Nous avons connecté instantanément. Elle correspondait en tous points à l’image qui avait germé dans mon esprit il y a de ça 17 ans. »

À l’écran, Macdonald mitraille ses répliques cash en rafales assassines qui dénotent chez Jasper, scénariste unique de son premier effort au long cours, un amour singulier de la langue. « C’est sans doute pour ça que j’aime le hip-hop à ce point. Aucun autre genre musical ne permet de déverser autant de mots à la fois, de les faire valser dans tous les sens comme les pièces d’un gigantesque puzzle. Dans les battles, les mots sont des armes, oui. Et j’aime à penser que ce don très spécial que possède Patti est comme un super-pouvoir. »

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