Patser: « Qu’est-ce que ça veut dire d’être marocain aujourd’hui à Anvers? Et flic? »

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Adil El Arbi et Bilall Fallah, responsables en tandem du film-phénomène bruxellois Black en 2015, se font plaisir et nous régalent du côté du Kiel anversois avec Patser, bombe flashy énergisante à la dimension quasiment scorsesienne. En hollando-flamand dans le texte.

Le premier n’a pas encore 30 ans. Et le second, à peine. Mais le nouveau long métrage du tandem Adil El Arbi-Bilall Fallah devrait achever de les imposer dans la cour des grands. Avec Patser, ils font mieux que retenir la leçon des erreurs passées: ils franchissent un cap décisif. Et rien, désormais, ne semble devoir leur barrer la route vers une carrière juteuse à l’international. En 2014, Image, leur premier film, laissait pourtant dubitatif: en voulant faire mentir les stéréotypes communautaires, cette plongée démonstrative dans les quartiers « chauds » bruxellois caricaturait surtout à outrance la course au scoop médiatique. L’année suivante, Black écrasait tout sur son passage et créait l’événement mais ce West Side Story contemporain dans les rues de la capitale peinait encore à convaincre: quelques fulgurances, certes, mais beaucoup de ratés. La troisième sera la bonne, et en effet Patser, aujourd’hui, passe la démultipliée, qui va voir du côté d’Anvers si, des fois, l’herbe -et le reste- n’y serait pas plus verte qu’ailleurs… « L’écriture du scénario est née de plusieurs envies, explique Adil El Arbi. On a grandi avec le cinéma de Scorsese, Spike Lee, et Patser est avant tout un hommage aux films de gangsters américains, aux films de quartiers. L’idée, c’était de multiplier les clins d’oeil, les références à Scarface de Brian De Palma, au Godfather de Coppola… Mais en les inscrivant dans un ADN spécifique, qu’on connaît bien. Moi je suis originaire d’Anvers, qui est la capitale de la coke en Belgique. Deux faits divers anversois récents nous ont inspirés. Il y a d’abord eu cette histoire de quatre jeunes qui ont volé de la coke à la mafia colombienne et ont donné naissance à une véritable guerre des gangs, toujours en cours, entre Anvers et Amsterdam. Ensuite, on a entendu parler de ces agents de police qui ont tabassé des illégaux, piqué de la thune, de la drogue… On a fondu ces deux affaires dans un même récit, nourri aussi par des anecdotes racontées par des gens du milieu que nous avons rencontrés. »

D’où cette formule rigolarde balancée en ouverture du film: « Vite fait tiré d’une putain d’histoire vraie. » À l’arrivée, si Patser n’a rien d’un objet rapidement bricolé, il sent effectivement le vécu… « C’est une autre grande leçon du cinéma de genre américain: l’environnement des personnages est un personnage en soi. Ici le quartier du Kiel à Anvers définit la psychologie des protagonistes, motive leurs réactions. Ce film n’aurait pu être tourné nulle part ailleurs en Europe. En tant que capitale de la Flandre, Anvers a une image très policée. Mais la réalité est tout autre. Anvers est le deuxième plus grand port d’Europe après Rotterdam. Il y a des montagnes de coke qui y transitent. Il suffit de regarder les chiffres: 29 tonnes saisies rien que l’an dernier et on estime que ce n’est qu’une petite quinzaine de pourcents de ce qui circule réellement. On approcherait en fait des 300 tonnes. Selon la DEA, la Colombie, le Pérou et la Bolivie combinés exportent approximativement 600 tonnes par an. Ce qui voudrait dire que la moitié passe par Anvers! Les gens friqués, blancs souvent (sourire) , y sniffent d’ailleurs un max de drogue. C’est pour ça qu’on s’est aussi autorisé l’un ou l’autre tacle à la N-VA. Toutes les couches de la population sont interdépendantes. Et rien ni personne n’est tout à fait blanc ou noir. Qu’est-ce que ça veut dire d’être marocain aujourd’hui à Anvers? Et flic? Ces questions nous intéressaient, parce que le racisme y est très prégnant. Mais, dans une ville, tout est lié, des bas-fonds au pouvoir. C’est bien sûr la thèse d’une série comme The Wire . Mais c’est aussi une idée qu’on retrouve beaucoup dans un certain cinéma italien. Il suffit de penser à des films comme Gomorra , Suburra  »

Fluo kids

« Un « patser », c’est un frimeur, quelqu’un qui se la pète, qui montre qu’il a de l’argent, une grosse bagnole, sourit Bilall Fallah. C’est la culture du bling-bling. Il s’agit d’un terme hollandais à l’origine, mais il est beaucoup utilisé à Anvers. C’est très typique du quartier du Kiel, de la banlieue, de la rue. » Ni apologique ni sentencieux, le film déjoue plutôt habilement le cliché mafieux de la structure narrative en montée euphorisante suivie d’une grosse descente aux allures de gueule de bois punitive. « On se garde bien de faire la morale, reprend Adil El Arbi. Parce que rien n’est simple ou tranché. Nous, on se reconnaît beaucoup dans le personnage de Yasser, le flic issu du quartier. Il essaie de suivre les règles, de faire les choses bien. Mais ce n’est pas pour autant qu’il est récompensé. Souvent, tu essaies de donner le meilleur de toi et puis tu le ramasses sur la gueule. Yasser est un personnage courageux. Il n’est pas respecté, on lui dit qu’il n’a pas de couilles, mais il reste fidèle à sa ligne. Patser montre qu’il ne faut pas se faire d’illusion. Les types hauts en couleur dans les quartiers ce sont les bad boys. Ils aimantent le regard, donnent le sentiment d’avoir de l’importance. Mais, encore une fois, l’immoralité et l’hypocrisie sont partout, en haut comme en bas. Et les petites frappes du film ne sont pas dupes. Elles veulent leur part du gâteau. »

Le duo de réalisateurs Bilall Fallah et Adil El Arbi sur le tournage du film.
Le duo de réalisateurs Bilall Fallah et Adil El Arbi sur le tournage du film.

On se souvient qu’Image et Black étaient particulièrement plombés. Patser privilégie un ton plus léger, plus fun, plus drôle aussi. « Oui, sur ce point, le succès d’un film comme Les Barons nous a beaucoup inspirés. Nabil Ben Yadir (non content de le co-écrire et de le co-produire, il campe également l’un des personnages du film, NDLR) est un peu notre grand frère à tous les deux. Dans notre esprit, à l’origine, Patser devait en fait être une pure comédie. Mais en creusant le sujet, en nous intéressant à la face corrompue d’Anvers, on a préféré tendre vers une espèce d’équilibre entre le drame et l’humour. »

Davantage ludique dans le ton, le film l’est également sur la forme, chapitrée en sept « levels » de jeu vidéo correspondant aux sept péchés capitaux et arrosée d’une esthétique flash aux néons fluo qui rappelle immanquablement le travail d’un Benoît Debie sur le Spring Breakers d’Harmony Korine. « Tout à fait. On rêve d’ailleurs de travailler un jour avec Benoît! L’esthétique de Patser devait être raccord avec son titre et son sujet: il fallait que ça en jette. L’idée c’était d’aller loin, trop loin même, dans les couleurs, la stylisation. D’où aussi une bande-son électro bourrée de gimmicks rétro, façon années 80-90. Tout simplement parce que les personnages ont constamment l’impression d’évoluer dans un univers de clip, de jeu vidéo. Ils se figurent leur vie à la manière d’un épisode de Grand Theft Auto . »

Tombe la neige

« Le catholicisme c’est Windows, l’islam c’est Apple. » Porté par la gouaille de ses jeunes acteurs, Patser carbure aussi aux phrases qui claquent avec un sens consommé de la punchline. « C’est quelque chose de nouveau pour nous. On a toujours beaucoup peiné dans l’écriture des dialogues. À dire vrai, on n’était pas très fiers de nous à ce niveau quand Image est sorti… On avait foiré grave. Du coup, dans Black , on s’est pas mal retenus. Avec Patser , on a enfin pu se lâcher. Si tu fais un film de gangsters, tu dois avoir des phrases qui tuent. Ça fait partie des codes. On s’est donc creusés pour pondre quelques bons mots à la Tarantino. Mais ça représente beaucoup d’effort pour nous… »

L'esthétique et la narration de Patser doivent beaucoup à l'univers des jeux vidéo de type GTA.
L’esthétique et la narration de Patser doivent beaucoup à l’univers des jeux vidéo de type GTA.

Rythmé par les fulgurances de langage, le film est aussi très découpé. C’est qu’El Arbi et Fallah doublent leur casquette de réalisateurs de celle de monteurs, dynamisant le récit et l’action à grand renfort de cuts énergisants. « Quand on tourne, on monte déjà la matière dans notre tête. On ne peut pas fonctionner autrement. On reste très fans des films d’Edgar Wright (Hot Fuzz, Baby Driver, NDLR) de ce côté-là. On aime garder la main sur tous les aspects créatifs de notre travail. Ça permet aussi parfois de heureux hasards. C’est au montage, par exemple, qu’à la suggestion d’un collaborateur, on a pensé à utiliser Tombe la neige de Salvatore Adamo sur un plan de coke. »

Poudreuse ici, poudreuse là-bas. La suite des aventures d’Adil El Arbi et Bilall Fallah devrait ainsi s’écrire de l’autre côté de l’Atlantique. La paire prodigue y a déjà réalisé les deux premiers épisodes -et donc défini la charte graphique- d’une série FX intitulée… Snowfall, sur l’épidémie de crack au début des années 80 dans les quartiers chauds de Los Angeles. « Le prochain film? À Hollywood, sans doute. Ce sera peut-être Le Flic de Beverly Hills 4 . Ou bien Bad Boys 3 . On est sur le coup pour les deux. On sait bien sûr qu’on n’aura jamais là-bas la liberté artistique dont on peut jouir ici. Quoi qu’il en soit, si Patser a du succès, on voudrait bien réaliser une suite. Il y a largement de quoi faire. On va voir comment le film fonctionne à l’étranger. Jamais une production d’ici n’a cartonné aux Pays-Bas. Qui sait, comme on mixe dialogues en flamand et en hollandais, peut-être que c’est pour cette fois? »

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