Laurent Raphaël

On n’a pas toujours le père qu’on mérite

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« À l’heure de l’égalité revendiquée des sexes et des tâches, peut-on encore assigner à père ou mère des rôles biologiques qui risquent d’entretenir les différences? » L’édito de Laurent Raphaël.

Tantôt trop présent (l’ombre envahissante de Don Vito Corleone sur ses enfants dans Le Parrain), tantôt pas assez (les deux gamins de Mud qui comblent le vide affectif de leurs familles respectives par un lien amical et indéfectible avec un inconnu), le père est pointé du doigt comme l’un des principaux responsables de la faillite morale de nos sociétés. Dernier chef d’accusation porté à son discrédit: le dérapage scolaire programmé des garçons en cas d’absence prolongée.

Même quand il semble tenir sa place, ce n’est pas pour autant qu’il tient son rang. Dans le film de Ruben Ostlund Turist, Tomas abandonne femme et enfants au moment de l’avalanche. Un geste qui va enrayer la mécanique familiale. Il a failli à ce rôle protecteur que la nature lui aurait assigné. Une haute trahison impardonnable pour la mère. Et un beau cas d’école pour les psys: à l’heure de l’égalité revendiquée des sexes et des tâches, peut-on encore assigner à l’un ou à l’autre des rôles biologiques qui risquent d’entretenir les différences?

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Bref, le bateau paternel prend l’eau de toutes parts. Je peux témoigner, fort d’une double paternité: maintenir les relations filiales à bonne température, même avec la meilleure volonté du monde, n’est pas chose aisée dans le brouillard actuel. Vous lâchez un peu trop la bride et il se trouvera bien quelqu’un dans votre entourage pour s’interroger sur les effets à long terme de ce « laxisme ». Ou simplement pour mettre en garde, comme le pédopsychiatre Marcel Rufo, contre les dangers d’une relation trop symétrique: « Il ne faut pas être copain avec ses enfants, exhorte-t-il. C’est là un point très important de la difficulté de notre temps. Les parents qui veulent séduire, les pères notamment, n’ont pas à le faire. Ils doivent être parent, avec toutes les limites. C’est un excès du progrès: le père toujours jeune, toujours séduisant, qui comprend tout, qui joue à être un peu trop jeune. Il faut qu’il soit vieux, qu’il vieillisse.« 

En même temps, quand vous décidez de serrer la vis, parce que vous n’avez pas l’intention de vous faire marcher sur les pieds par votre rejeton, c’est votre conscience, farcie à la littérature féministe et convertie à l’idée du dialogue, qui vous rappelle à l’ordre en vous inoculant ce poison redoutable: la culpabilité. L’éducation à l’ancienne a montré ses limites. La manière forte est le meilleur moyen de couper les ponts avec la génération d’en dessous. L’image de Marvin Gaye allongé sur le gazon, tombé sous les balles de son propre père, vous revient à ce moment-là dans un haut-le-coeur.

Tous les experts semblent en tout cas s’accorder sur un point: que ce soit le père biologique ou un ersatz, beau-père, oncle ou cousin, la présence d’une figure masculine, qui introduit l’altérité dans le couple biologique mère-enfant, est essentielle au développement de l’être humain.

Celui qui a dû se passer de cette image tutélaire ne s’en remet jamais vraiment. De Camus à Stromae en passant par Paul Auster, cette béance affective reste une énigme. Qui hante Le Premier homme d’Albert Camus et L’Invention de la solitude de Paul Auster. Et s’exprime sur un mode plus aigre-doux, mais non moins mélancolique, dans le morceau Papoutai de la machine à tubes Stromae: « Un jour ou l’autre on sera tous papa/Et d’un jour à l’autre on aura disparu/Serons-nous détestables?/Serons-nous admirables?/Des géniteurs ou des génies?/Dites-nous qui donne naissance aux irresponsables?/Ah dites-nous qui, tient,/Tout le monde sait comment on fait les bébés/Mais personne sait comment on fait des papas. »

On peut aussi se choisir un père de substitution, un mentor, personnage récurrent de la fiction, songeons simplement à Star Wars. Mais là encore, la greffe peut mal tourner. Dans l’envoûtant Foxcatcher, le milliardaire John Du Pont prend le lutteur Mark Schultz sous son aile. Naïf, ce colosse au coeur friable pense avoir trouvé la béquille spirituelle qui lui faisait défaut, sans voir que ce bienfaiteur providentiel tente juste de colmater ses propres brèches affectives. Mark n’est qu’un sparadrap sur un esprit dérangé.

Visiblement, on n’a pas toujours le père qu’on mérite…

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