Critique

Mystères de Lisbonne

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DRAME | Raoul Ruiz marie avec bonheur tradition feuilletonnesque et mise en scène virtuose. Il fait de Mystères de Lisbonne un film gigogne en forme d’enchantement permanent.

C’est à un bonheur inespéré qu’il nous est donné de goûter avec la sortie de Mystères de Lisbonne, dernier film en date du prolifique réalisateur chilien Raoul Ruiz. C’est là une oeuvre résolument hors-normes, en effet, ne serait-ce que par sa durée (4h26), qui défie les canons en usage dans la distribution commerciale (le film avait initialement été conçu pour la télévision, et fera l’objet, au printemps, d’une série de 6 heures sur Arte). C’est aussi, et surtout, un authentique chef-d’oeuvre qui, s’il fait écho à la tradition feuilletonnesque, et à Dumas en particulier, ajoute à l’intelligence narrative une mise en scène virtuose, en un enchantement renouvelé à chaque plan.

Tourbillon d’aventures

Adapté du roman éponyme de Camilo Castillo Branco, Mystères de Lisbonne nous emmène au Portugal, au XIXe siècle, à la rencontre de Pedro da Silva, jeune orphelin confié aux bons soins du Père Dinis. L’enfant brûle du désir de connaître les circonstances qui l’ont conduit dans ce pensionnat catholique; la visite d’une femme, qui se révèlera être sa mère, apporte un commencement de réponse à sa quête d’identité. Et offre à Ruiz le point de départ d’une oeuvre qui va bientôt balader le spectateur au gré des évolutions d’une galerie de personnages qui, de l’aristocrate aventurier débarqué du Nouveau Monde à la comtesse ivre de vengeance, se chargeront de transformer ces Mystères en un tourbillon d’enivrantes aventures.

La matière est riche, le merveilleux du film tient, notamment, à la manière dont le réalisateur de Généalogies d’un crime en arrête l’architecture, adoptant une structure en spirale où chaque nouvelle pièce au scénario semble en appeler une autre, le récit n’en finissant plus de gagner en ampleur à mesure que l’on s’enfonce dans les méandres de ce film gigogne. L’entreprise, si elle est certes complexe, est surtout ludique, qui titille la sagacité du spectateur tout en déclinant avec maestria les figures du récit romanesque, jusqu’en un dénouement proprement magistral. Dans l’intervalle, on s’est perdu avec délice dans la trame labyrinthique mise en place par le maître d’oeuvre rarement autant inspiré, qui l’assortit d’une mise en scène lumineuse, coulée dans de vertigineux plans séquence.

Explosant les limites du serial au gré d’une mécanique d’une exemplaire précision, Ruiz signe une oeuvre proprement fantastique, qui semble se décliner en une infinité de possibles, à la mesure de ces vies dont il explore les innombrables variations, et sur lesquelles il propose une puissante méditation. Un film à voir absolument, la durée étant ici le gage d’un plaisir multiplié.

Mystères de Lisbonne, drame de Raoul Ruiz, avec Adriano Luz, Maria Joao Bastos, Clotilde Hesme. 4h26.

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Jean-François Pluijgers

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