Marlina, western vengeur arrosé de féminisme pop

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

La cinéaste indonésienne Mouly Surya inscrit dans l’immensité aride de l’île de Sumba un très graphique film de vengeance qui est aussi le récit d’une émancipation, western coupeur de têtes arrosé de salutaire féminisme pop.

Une femme violée assoiffée de justice se trimballant avec la tête coupée de l’un de ses agresseurs sur le chemin de sa propre délivrance? Voilà qui devrait être suffisant pour affoler le baromètre des amateurs de cinéma de genre. Mais Marlina, la tueuse en quatre actes est un peu plus que cela. Sensation cannoise de la Quinzaine des Réalisateurs 2017 ayant fini par se tailler une place à la machette dans l’agenda des sorties belges, le film de Mouly Surya, 37 ans, cinéaste originaire de Jakarta dont il s’agit là du troisième long métrage, mixe les humeurs et les préoccupations dans les collines perdues de l’île de Sumba, cadre inusité d’un western vengeur tirant le meilleur parti de ce petit « Texas indonésien ». « C’est en effet comme ça qu’on a l’habitude d’appeler l’île, sourit Mouly Surya, de passage à Bruxelles en avril dernier pour défendre son film . L’Indonésie est un pays majoritairement très luxuriant. Vous pouvez y manger une orange, jeter les pépins et un arbre poussera le lendemain. J’exagère à peine (sourire) . Mais, en son sud, Sumba affiche un profil très différent. La présence massive de coraux y dessine des paysages plus secs, plus désertiques, qui lui donnent un look très photogénique, spécialement en août et septembre, les deux mois où nous avons tourné. »

Avec sa soixantaine d’habitants à peine au kilomètre carré, cette île réputée propice aux esprits offre un écrin parfait au récit hors du temps qui noyaute le film, étonnant alliage de drame sensible et de divertissement populaire -quelque chose comme l’improbable rencontre entre Abbas Kiarostami et Quentin Tarantino…- porté par un indéniable sens de l’image. Si Surya se réclame ouvertement d’un héritage pictural classique -voir Le Caravage et sa Judith décapitant Holopherne, par exemple-, elle s’abreuve également à la source d’une culture largement plus « pulp » et décomplexée. « Je dois confesser que je ne suis pas plus cinéphile que ça. Par contre, dans les années 90, j’ai grandi en consommant énormément de mangas et de dessins animés japonais qui ont marqué mon imaginaire visuel. Pour l’anecdote, ma fille se prénomme d’ailleurs Rei, en hommage à Rei Ayanami, le « Premier Enfant » de la saga Neon Genesis Evangelion (sourire). »

Éloge de la lenteur

Marlina, western vengeur arrosé de féminisme pop

Une influence qui se ressent dans la composition des plans, mais pas forcément dans le rythme du récit. Mouly Surya aime prendre son temps, le dilatant à l’occasion à la manière d’un Sergio Leone: soudaines, ses giclées vermeilles de violence très graphique arrosent ainsi le cadre sans pour autant sacrifier à une certaine idée de la lenteur. Voire même de la contemplation. « J’aime l’idée d’immobilité. Elle permet d’explorer l’épaisseur d’un plan, d’un moment. J’avais pour habitude de découper beaucoup mes travaux au montage lorsque j’étais encore étudiante, et c’est sûr que celui-ci participe en soi du processus de mise en scène. Mais aujourd’hui, je préfère découper le moins possible. Je tourne un nombre limité de plans, inscrits dans une certaine durée. C’est aussi une manière de faire confiance à mes acteurs. Et puis ça rend les choses plus organiques. »

D’autant plus organiques que la caméra de Surya saisit le plus souvent ses protagonistes en plans très larges qui les isolent au coeur des sublimes paysages sauvages des confins indonésiens, personnages définitivement à part entière de Marlina. « Ces plans larges en disent long sur la géographie de l’île et, oui, sur l’isolement qui entoure chacune des habitations. C’est une manière de raconter l’histoire, déjà, rien qu’en montrant l’environnement. J’aime l’idée d’exprimer beaucoup avec peu. Le film donne finalement un nombre assez limité d’informations relatives à la société dans laquelle évolue le personnage de Marlina. Mais, en un sens, les images parlent d’elles-mêmes. Les variations du paysage déterminent l’avancement du récit. »

Tout comme le motif du surcadrage(1), suggérant l’idée d’un enfermement dont il s’agit de s’affranchir, mais aussi la théâtralité assumée (le titre du film, son découpage en quatre actes, sa dimension shakespearienne…) d’un ensemble aux accents mythologiques où la gravité côtoie l’humour le plus… assassin, et dont la structure, en boucle, épouse aussi le cycle sans cesse répété de la vie. « Les concepts de naissance et de mort sont quasiment indissociables pour moi, c’est un fait. Mon père est décédé quelques mois avant le début du tournage de Marlina , et je pense que cet événement, ainsi que la période de deuil qui a suivi, m’ont connectée de manière très particulière avec ces thématiques. »

(1) Présence d’un cadre dans le cadre de l’image.

Marlina, la tueuse en quatre actes. De Mouly Surya. Avec Marsha Timothy, Dea Panendra, Yoga Pratama. 1h33. Sortie: 06/06. ***(*)

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