Magie retrouvée du noir et blanc

Dans le sens des aiguilles d'une montre: Nebraska, Tabu, Le Ruban blanc, Blancanieves et La Jalousie © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Ida au cinéma cette semaine; Nebraska et La Jalousie à venir; The Artist, Blancanieves ou Tabu il y a peu… L’esthétique noir et blanc a assurément repris des couleurs. On fait le point.

Longtemps, on a cru que le noir et blanc était voué à ne rester plus qu’une tendance résiduelle du cinéma, tant il ne se trouvait guère que les Jim Jarmusch ou autre Philippe Garrel, voire, sporadiquement, un Tim Burton ou les Coen Brothers, pour tenter de le soustraire à ce funeste destin. Insensiblement, pourtant, le courant a évolué; et si l’on se gardera de parler de lame de fond, l’esthétique black and white a, assurément, repris des couleurs. Dans la foulée du Ida de Pawel Pawlikowksi, on découvrira ainsi tout prochainement sur nos écrans deux autres films ayant fait le pari d’un retour à la palette originelle du Septième art, à savoir La Jalousie de Philippe Garrel, et Nebraska d’Alexander Payne -autant dire que l’on balaye là un spectre fort large de la production.

Point de référence

Pawel Pawlikowski explique (lire son interview dans le Focus du 7 février) avoir recouru au noir et blanc parce que cette tonalité, à la fois profonde, blême et sensuelle pour le coup, correspondait à ses souvenirs de la période et du cadre envisagés, la Pologne du début des années 60. Michael Haneke tenait un discours voisin au moment de commenter les choix esthétiques ayant présidé au Ruban blanc, Palme d’or en 2009: « Nous ne connaissons la période dépeinte dans le film (le début du XXe siècle, nldr) qu’à travers des images en noir et blanc. Si j’avais tourné un film historique se déroulant au XVIIIe siècle ou plus tôt, le problème aurait été différent, parce que nous en connaissons des représentations en couleurs, aussi bien dans la peinture qu’au cinéma. Mais pour la fin du XIXe et le début du XXe, les images dont nous disposons, photographies ou films, sont systématiquement en noir et blanc, et génèrent une attente très précise. Recourir au noir et blanc me permettait aussi de m’insinuer de manière plus directe au coeur de l’atmosphère que j’associe à cette époque. »

À cet argument historique, le réalisateur autrichien en ajoutait un autre, d’ordre plastique: « Le noir et blanc induit une certaine distance, et permet de rompre avec la fausse illusion de naturalisme que l’on retrouve souvent dans les films. » Pour d’autres, c’est la cohérence esthétique qui a dicté un choix, resté audacieux: renouant dans un passé récent avec la grâce du cinéma muet, Michel Hazanavicius, pour The Artist, ou Pablo Berger, pour Blancanieves, en ont aussi fort logiquement reconduit les codes; un raisonnement que l’on peut également appliquer à Miguel Gomes, pour son formidable Tabu. De même, s’inscrivant dans le droit fil de la Nouvelle Vague, Jan Ole Gerster pour Oh Boy et Noah Baumbach dans Frances Ha s’en sont tenus, il y a quelques mois, à un habillage d’une exemplaire sobriété -le naturel faisant ici que la vie déborde littéralement de sa représentation en noir et blanc. Paradoxe dont joue d’ailleurs lumineusement The Grand Budapest Hotel, l’univers extravagant et chamarré de Wes Anderson semblant rattrapé par la réalité le temps d’un unique passage atone.

Le mot de la fin, on le laissera à Philippe Garrel, héritier de la Nouvelle Vague, et un cinéaste qui en connaît un bout sur la question, le réalisateur des Amants réguliers ayant composé l’essentiel de sa filmographie à l’abri de la couleur. « Il y a dix ans, lorsque vous vouliez faire un film en noir et blanc, on vous taxait de nostalgie, alors qu’aujourd’hui, c’est le lot de nombreux film, même si cela demeure difficile. Comme me l’avait dit Henri Langlois (fondateur de la Cinémathèque française, ndlr) en son temps, le noir et blanc ne disparaîtra jamais: c’est impossible, parce que le cinéma a été inventé en noir et blanc. C’est propre au Septième art, dont il constitue l’essence, au même titre que la pellicule. On peut faire beaucoup de digressions parallèles, mais on ne peut pas se passer du point de référence. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content