Loubna Abidar: « Il n’y a rien d’impossible si on sait rêver »

Loubna Abidar au FIFF de Namur en 2015, avec son Bayard d'Or de la meilleure actrice. © BELGA

L’actrice principale de Much Loved, le film sur des prostituées qui a fait scandale au Maroc il y a deux ans, était l’une des jurées du Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) cette année. Nous l’y avons rencontrée.

Elle est à la fois menacée et admirée, haïe par d’obscurs conservateurs et adorée par des féministes convaincus. Avant la sortie du film Much Loved, l’actrice Loubna Abidar était méconnue voire inconnue en Europe. Puis elle a brillé par son interprétation énergique et vibrante d’indépendance du personnage de Noha, une jeune prostituée marocaine, dans le film de Nabil Ayouch. Ce rôle lui a valu la reconnaissance de la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes en 2015, et du FIFF, qui la consacra du Bayard d’or de la meilleure actrice la même année.

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Une révélation qui a déchaîné les foudres de son pays d’origine, le Maroc. Les premières images de Much Loved ont été censurées dès leur sortie pour « outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et atteinte flagrante à l’image du royaume ». Une vague de soutien au réalisateur Nabil Ayouch, ainsi qu’à la liberté d’expression, n’a pas traîné à émerger. De son côté, Loubna Abidar a rapidement reçu des menaces pour avoir joué le rôle principal de ce film au sujet tabou. Fin 2015, elle est frappée par trois jeunes hommes à Casablanca, et décide de quitter le Maroc.

Elle s’est depuis réfugiée en France, où elle continue d’être actrice et participe en tant que jury à de nombreux festivals francophones. Elle a également raconté son histoire dans le livre La Dangereuse, sorti en 2016. Avec toujours cette envie d’aider les femmes de son pays et d’ailleurs à sortir de la domination masculine.

J’imagine que vous êtes heureuse de revenir au FIFF, après la présentation de Much Loved en 2015 et votre Bayard de la meilleure actrice?

J’ai beaucoup d’amour et de respect pour ce festival puisque c’était ma première fois en Europe. Donc ça me fait plaisir de revenir en tant que jurée. Avec les autres membres du jury, on s’est éclatés, il y avait de supers beaux films dans la sélection. On a les mêmes visions, les mêmes rêves. Parfois, sur un rôle ou un film, on a débattu pendant plusieurs heures mais c’est le but, l’avantage de ce rôle. On apprend grâce à ça. Mais c’est difficile parce qu’on a envie de donner des prix à tout le monde! Je suis une actrice engagée, j’adore ce type de films, mais des fois on a besoin aussi de tendresse et d’amour. Ce n’est pas toujours la guerre. Malheureusement, le monde ne va pas très bien et 90% des films actuels traitent de sujets très forts.

Quelles ont été vos coups de coeur du festival?

Je suis sortie en pleurant de la projection de deux films. Le premier, c’est Chien, de Samuel Benchetrit, qui a reçu plusieurs prix, dont celui du jury. Je suis rentrée directement à l’hôtel, je n’ai pas mangé et je ne suis pas sortie, tant il m’a émue. Le deuxième est Maman Colonelle de Dieudo Hamadi, qui a reçu un prix spécial du jury. Volubilis de Faouzi Bensaïdi est aussi un très bon film. Il m’a marqué parce que j’ai vu le Maroc, chez moi, et il est réel à 100%.

Much Loved est sorti il y a deux ans. Que retenezvous de cette expérience?

Ce film me suit jusqu’à aujourd’hui et, à mon avis, cela va rester à vie. Avec Much Loved, j’ai reçu beaucoup de mal et de haine mais en même temps, de l’amour. J’en retire une expérience magnifique. Jusqu’à maintenant, je ne regrette pas d’avoir fait et défendu ce film. Si on me le proposait à nouveau aujourd’hui, j’accepterais avec plaisir parce qu’on a besoin de scénarios comme celui-là.

Pouvez-vous retourner au Maroc?

J’y vais de temps en temps, et je vais tourner mon premier film là-bas, même si ça reste très compliqué et ça le restera. Mais le gouvernement n’a pas le choix parce que mes producteurs et acteurs sont européens. Ils ne vont quand même pas créer de problèmes avec l’Europe à cause de moi!

Ça s’est un peu apaisé, même si je suis encore insultée de partout au Maroc comme la reine des prostituées… Et c’est pour ça que j’avais besoin de raconter mon histoire dans mon livre La Dangereuse, parce que je lis des mensonges sur moi, des articles injustes, parce que quelqu’un a décidé de te tuer, de casser ta carrière. Je voulais rétablir la vérité.

Vous êtes un symbole de l’émancipation des femmes et une inspiration. Comment le ressentez-vous?

C’est une responsabilité très lourde. Ce n’est pas facile car je travaille beaucoup là-dessus sur les réseaux sociaux. J’ai créé pas mal de groupes de femmes pour qu’on s’aide entre nous, j’ai fait des vidéos sur YouTube aussi. J’ai découvert que les femmes ne se respectent plus elles-mêmes. Et là je suis en train de les réveiller, de leur montrer que non, ce n’est pas la religion qui décide si on est heureuses ou pas. C’est nous-mêmes, ce n’est pas l’autre. Et tout ce soutien que je reçois donne plus de courage et d’énergie pour aller plus loin. Tous les jours je rencontre des femmes qui me disent que j’ai changé leur vie, dans les rues de Paris. Surtout après mon livre parce que mon histoire, d’où je viens, donne beaucoup de courage pour les autres. Moi, je dis aux femmes qu’il faut toujours rêver. Il n’y a rien d’impossible si on sait rêver.

Quels sont vos projets?

Je suis en train d’écrire un film que je réaliserai moi-même sur les problèmes des femmes, leur amour et leur tendresse. J’ai également tourné avec le réalisateur Philippe Faucon (Fatima) sur une série, Fiertés, qui sera bientôt diffusée sur Arte, et pour un film qui s’appelle Amine. J’ai pas mal de tournages à côté mais je suis plus concentrée sur mon projet en tant que réalisatrice. J’ai trop besoin de parler à ma manière, à ma façon maintenant.

Salammbô Marie

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