Lizzie Borden, tout feu tout femme

Sorti en 1983, le Born in Flames de Lizzie Borden deviendra l'emblème international du combat féministe de l'époque. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Lizzie Borden, la réalisatrice du radical et féministe Born In Flames vient à la Cinematek pour y faire l’événement.

Samedi 21 janvier, Lizzie Borden participait à la Marche des Femmes organisée à Los Angeles pour faire entendre la voix de celles que l’arrivée de Donald Trump au pouvoir suprême inquiète. Trente-quatre ans plus tôt, c’est sous la présidence de Ronald Reagan qu’elle signait Born in Flames, film choc et radical qui allait devenir l’emblème international d’un combat féministe incluant celui des minorités raciales et sexuelles. Un missile d’agitprop (1) dont la version restaurée ouvrira en sa présence le vaste et fort programme que la Cinematek consacre à la réalisatrice.

« Les choses ne se sont pas améliorées depuis, elles sont même sur le point de devenir pires sur certains plans« , déclare Borden, ajoutant qu' »à l’époque les gens s’opposaient à Reagan tout en acceptant le fait qu’il soit président. Je fais partie d’un groupe qui refuse de reconnaître Trump comme président. Il ne sera jamais mon président, il n’a pas les qualités requises. Son élection est un scandale, elle est choquante. J’ai honte de vivre dans un pays qui a porté un tel homme au pouvoir… » La réalisatrice s’avoue surprise que Born in Flames puisse avoir encore autant de résonance aujourd’hui. « Il me faut constater que les questions soulevées par le film sont parfois encore plus cruciales maintenant. Il va falloir éviter le désespoir, imaginer des stratégies pour venir en aide à celles et ceux qui vont très vite en avoir besoin: les immigrés que l’on va déporter, les femmes devant avorter dans des États où ce sera interdit… » Lizzie Borden parle de « résistance« , un mot fort qui marque tout son travail de cinéaste, et même son parcours personnel depuis l’âge de onze ans, quand Linda Borden décida, « par acte de rébellion« , d’adopter pour toujours le prénom Lizzie, celui d’une autre Borden accusée d’avoir assassiné son père et sa belle-mère à la hache (2)!

« J’ai débuté dans le monde des arts plastiques, mais je m’y suis vite sentie mal à l’aise à cause de son aspect patriarcal, avec les Julian Schnabel et les minimalistes qui dominaient tout, reléguant au second plan les artistes femmes qui faisaient plutôt du body-art et de la performance. J’étais féministe, mais le féminisme à l’époque était incarné essentiellement par des femmes blanches et issues de la classe moyenne. Je me suis rapprochée des femmes noires qui s’en sentaient exclues et préféraient utiliser le mot « womanism ». Aussi de certains groupes communistes et socialistes comme Art & Language, dont Kathryn Bigelow était proche. Mais même chez eux, les femmes passaient en second. On évoquait la « question des femmes » et on se promettait de la régler, mais toujours plus tard, APRÈS la révolution… »

Rébellion joyeuse

Lizzie Borden, en 1986.
Lizzie Borden, en 1986.© Getty Images
L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

La vision des films de Godard fut le déclic pour Lizzie Borden. Elle ferait du cinéma et y exprimerait sa révolte, son désir de justice et de changement. « En adoptant l’angle le plus radical possible à mes yeux, des femmes noires, des lesbiennes, ayant en elles le plus de force combative. La Bataille d’Alger (3) fut mon modèle pour évoquer -sans mettre mes mots dans leurs bouches mais en respectant leurs propres paroles- l’organisation de leur lutte. J’ai mélangé dans mon film des éléments scénarisés, fictionnels (l’action se déroule dans un futur post-révolutionnaire, où le socialisme a en principe apaisé les conflits mais où l’injustice demeure, NDLR), et des improvisations libérant le langage et impliquant la musique des groupes punks féminins de l’époque, par exemple. Je ne voulais pas d’un film ennuyeux, qui prêche une parole attendue, je voulais offrir une expérience intense, rythmée par le « beat » des mots et des chansons. » Pensait-elle à Emma Goldman, l’anarchiste qui lança aux bolchéviques « Si je ne peux pas y danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution »? « Oui! Ce fut une des clés pour faire mon film, clame la réalisatrice, il doit toujours y avoir de la joie dans la rébellion! »

À Born in Flames allait s’ajouter l’également très « culte » Working Girls (sur des prostituées), avant un flirt avec l’industrie du film (Love Crimes) débouchant sur une censure des producteurs que l’approche audacieuse de la réalisatrice ne pouvait que provoquer… Aujourd’hui, Borden est une « script doctor » recherchée par Hollywood, venant au secours de projets au scénario faiblard. Elle admire son amie Kathryn Bigelow et la détermination qui l’a menée vers les sommets, les Oscars (« Pour elle, faire un film c’est partir en guerre! »). Mais elle n’éprouve pas de regrets d’avoir vécu pour sa part son chemin dans une marge relative où elle est restée libre, et a pu multiplier les engagements en dehors du cinéma aussi. Le programme qu’elle a conçu pour la Cinematek témoigne à la fois de son art et de ses combats, expressions d’un féminisme et d’un antiracisme dont l’actualité reste brûlante.

(1) D' »AGITATION » ET « PROPAGANDE », TERME HÉRITÉ DES COMMUNISTES RUSSES ET REPRIS PAR NOMBRE D’ARTISTES GAUCHISTES NON INFÉODÉS À L’URSS.

(2) ON VERRA CETTE ANNÉE UN FILM INSPIRÉ DU PERSONNAGE ET DE L’AFFAIRE, LIZZIE, AVEC CHLOË SEVIGNY ET KRISTEN STEWART.

(3) LE FILM DE GILLO PONTECORVO, RÉALISÉ EN 1966 ET ÉVOQUANT LA BATAILLE QUI OPPOSA, EN 1957 ET DANS LA VILLE ALGÉRIENNE, L’ARMÉE FRANÇAISE AUX INDÉPENDANTISTES DU FLN.

Du 03 au 28/02 (Rencontre les 03, 04 et 05/02) à la Cinematek, rue Baron Horta 9, 1000 Bruxelles. www.cinematek.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content