Le Palace rouvre ses portes: état des lieux à charge et à décharge

© Hatim Kaghat
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Bruxelles voit enfin s’ouvrir son nouveau temple du cinéma art et essai, au terme d’une saga longue de… 17 ans.

Le Palace occupe toujours le même emplacement sur le boulevard Anspach, en regard de la Bourse (à sa gauche) et de l’AB (à sa droite). Mais l’immeuble classé en aura parcouru, du chemin, avant de toucher au port d’une ouverture si souvent et si longtemps repoussée. L’ex-Pathé Palace, devenu à l’aube des années 2000 propriété de la Communauté française de Belgique (désormais Fédération Wallonie-Bruxelles), ouvrira donc enfin ses portes le 28 de ce mois. Les cinéphiles bruxellois seront attendus en nombre à bord de ce paquebot Art Nouveau tout entier dévolu au 7e art à valeur culturelle ajoutée, au cinéma d’auteur, à l’art et essai mais aussi -nous le verrons- à la fête et à l’éducation. Si ses critiques les plus virulents lui prédisent d’ores et déjà le même sort que le Titanic, ses partisans espèrent de lui qu’il devienne un haut lieu de la capitale, au coeur de ce piétonnier dont les travaux en plein cours donnent encore à ses abords des allures de chantier.

Culture en travaux

Luc Dardenne est à bord depuis bien des années déjà. Il fait partie des « porteurs » du projet choisi en 2006 par la Communauté française et son très actif Secrétaire général Henri Ingberg (1) pour imaginer et mener à bien le projet Palace. Avec son frère Jean-Pierre, le producteur Patrick Quinet (Artemis), la regrettée distributrice Eliane Dubois (Cinéart) et la conseillère en audiovisuel Nicole La Bouverie (Zenab), le réalisateur aux 2 Palmes d’Or faisait donc partie de la « dream team » qui a pu concevoir le projet… avant de voir retards et complications dans la rénovation des lieux maintenir bien longtemps le Palace nouveau en cale sèche. « Les trois axes déterminés au départ, et toujours prioritaires aujourd’hui, sont de sortir des films du marché belge et international liés à l’art et essai, de faire de l’événementiel (invitations de cinéastes, de comédiens et de comédiennes, entre autres) et de promouvoir l’éducation en travaillant avec les mouvements associatifs bruxellois, les écoles (flamandes y compris). Nous voulions aussi qu’il y ait 4 salles et non pas 3 comme du temps du Kladaradatsch qui avait animé les lieux entre 1998 et 2001. Et puis aussi nous étions convaincus qu’il fallait une dimension conviviale, « horeca ». Un film se voit deux fois: en salle et puis en parlant avec les autres autour d’un verre ou d’un repas! A pris démocratique, bien sûr! »

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Des obstacles et embûches semant la route du projet et en ayant fait une longue saga, le cadet des Dardenne retient notamment, « et avant même d’envisager les grands travaux », les contraintes liées à la sécurité du bâtiment et à l’accès aux personnes à mobilité réduite, ainsi que les conditions minimales pour les cuisines et le restaurant. « Nous avions une enveloppe de 2,5 millions et rien que tout ça en exigeait déjà 2… D’où le doublement rapide de ce budget de départ », rappelle notre interlocuteur qui se souvient aussi de la date prévue pour l’ouverture au public: 2012. « En fait, les travaux ont seulement pu commencer cette année-là… » En cause, la prise de hauteur de coûts de rénovation culminant finalement à une bonne dizaine de millions (10,2 hors TVA). Qu’il aura fallu financer, sur fond de relations pas forcément très fluides entre Région bruxelloise, Fédération Wallonie-Bruxelles (alors Communauté française), Beliris et le gouvernement fédéral…

Parlons cinéma!

Luc Dardenne ne veut pas revenir sur ces complications politiques… dont il est certain qu’elles vont repartir pour un tour à l’heure de l’ouverture. Il préfère parler cinéma, tout comme le jeune responsable de la programmation du Palace, Nicolas Gilson. Lequel dévoile quelques premiers titres mis à l’affiche dès le 28 février: le très beau Radiance de Naomi Kawase, la révélation qu’est Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, et un Breathe où joue Andrew Garfield, l’acteur des derniers films de… Spider-Man. Gilson sait bien que les « jeux de concurrence » seront forts (il s’est vu refuser un film par UGC Paris qui l’a placé aux Galeries), mais il espère aussi que des synergies pourront voir le jour avec d’autres cinémas art et essai du haut et -pourquoi pas- du bas de la ville. Une collaboration avec la Cinematek étant par ailleurs d’ores et déjà annoncée. Ainsi que -par Luc Dardenne- le projet de cycles de cours sur la direction de la photographie et d’autres aspects de la création cinématographique. Le Palace compte bien par ailleurs accueillir très régulièrement des avant-premières festives en présence d’invités. Et ce dans une logique de choix ne se limitant pas au « pointu – pointu », ainsi que le dit un programmateur conscient de la nécessité d’attirer un large public. A l’aide bien sûr des réseaux sociaux (Facebook et Instagram), mais aussi d’une présence volontariste sur le terrain, dans un quartier du centre où le Palace veut rapidement s’enraciner.

Le Palace rouvre ses portes: état des lieux à charge et à décharge
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Nerf de la guerre et guerre des nerfs

Fidéliser les spectateurs, en amener de tout neufs via notamment les séances scolaires. Et pourquoi pas donner envie d’une toile aux clients du restaurant (80 couverts tout de même, et géré en interne, nous dit-on) venus initialement pour la table. Le Palace devra le faire s’il veut atteindre ses objectifs en matière de fréquentation et donc d’équilibre financier. Une aide ponctuelle de 2 ans venue de Sven Gatz, ministre de la Culture et des médias dans le gouvernement flamand. Une autre, conséquente, de la Fédération Wallonie-Bruxelles, renégociable tous les 2 ans. C’est bien mais pas suffisant. Et le Palace est ouvert à la privatisation de son vaste et remarquable foyer Hamesse pour de l’événementiel privé.

Tout ça dans un contexte très tendu où plusieurs cinémas d’art et essai quasi voisins (Nova, Galeries, Actor’s Studio) voient leur dotation publique diminuée. À l’heure aussi où la ministre en charge du cinéma, Alda Greoli, coupe aussi les vivres au festival Filmer à tout prix, et ampute les subsides de certains ateliers de production. D’aucuns établissent déjà, et non sans raison, une relation entre ces mesures à la baisse et le financement public du Palace, celui aussi du nouveau festival lancé à Bruxelles (2). « On déshabille les uns pour habiller l’autre! », lance le responsable d’un des cinémas privés d’une part de subsides… On en reparlera, c’est sûr, dans un cadre rendu plus incertain encore par les interrogations sur l’avenir des salles en général. « Personnellement, je crois en cet avenir, déclare Luc Dardenne, même si cela va bouger. La numérisation qui se généralise et qui va se mondialiser ne pourra qu’avoir un impact sur la programmation. Les complexes commerciaux qui font déjà 30% de leur chiffre d’affaires sur ce qui n’est pas du cinéma (boisson et nourriture) vont aller vers l’événement, en diffusant pourquoi pas la finale du Mondial de football dans 20 salles. Mais nous, allons-nous par exemple devoir nous faire au rythme des plates-formes comme Amazon qui ne mettent un de leur film à l’affiche que durant une semaine? J’espère que non, qu’il y aura une mobilisation des exploitants au niveau européen pour pouvoir garder les films plus longtemps, s’inscrire dans une certaine durée. C’est crucial car les salles pourront bientôt signer directement avec les plates-formes, sans passer par la distribution, un métier qui lui aussi va beaucoup changer… » L’océan sur lequel se lance le Palace réserve plus d’une inconnue, mais le vaisseau a belle allure!

(1) Décédé en 2007, ce grand cinéphile fut très actif dans le démarrage d’un projet en lequel il croyait beaucoup.

(2) Le BRIFF (pour Brussels International Film Festival). Première édition du 20 au 30 juin.

Et valsent les chiffres!

Le Palace rouvre ses portes: état des lieux à charge et à décharge
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Il faudrait au Palace une base annuelle de 110.000 spectateurs pour assurer sa viabilité en termes de revenus propres. Donc 90 à 95.000 cette année, amputée de 2 mois déjà. C’est du moins l’objectif ambitieux affiché par Olivier Rey, pilote du projet depuis 2012, et qui compte sur une politique tarifaire attrayante et démocratique (tarifs entre 6 et 8,75 euros) pour inscrire le Palace et ses 4 salles (la plus grande compte 373 sièges) dans la réalité socio-économique bruxelloise. Des synergies avec d’autres cinémas d’art et essai sont espérées pour créer l’indispensable dynamique. Certains observateurs et aussi… concurrents estiment qu’il faudra bien plus de tickets vendus pour équilibrer les choses. Pour info, en 2017, l’Aventure a accueilli 72.000 spectateurs (hors événements), le Galeries 54.000 et le Nova une petite vingtaine de milliers (chiffres de 2016, et pour 135 jours d’ouverture seulement). L’espace « horeca », avec ses deux bars et son restaurant, aura un rôle important à jouer. On s’efforcera de ne plus penser aux sommes astronomiques déjà englouties dans l’achat (5 millions) puis les différentes phases de rénovation (une grosse douzaine de plus) d’un magnifique mais très coûteux outil, dont la Fédération Walllonie-Bruxelles, propriétaire des lieux, espère qu’il ne sollicitera plus trop ses finances…

Un palais pour le 7e art

Le Palace rouvre ses portes: état des lieux à charge et à décharge
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On doit au grand architecte Paul Hamesse, disciple d’Hankar, la transformation du 85 boulevard Anspach en cinéma. La commande venait de la puissante société française Pathé, dont le coq emblématique orne toujours aujourd’hui le faîte du bâtiment. Ouvert en 1913, ce temple dédié au 7e art à quelques pas de la Bourse ferma ses portes en 1973, après avoir plusieurs fois changé de nom. Il servit ensuite d’entrepôt avant de connaître une restauration à l’identique. Début 1999, il put rouvrir sous le nom de Kladaradatsch! Palace, avec un espace bar-restaurant vite rempli et 3 salles (350, 150 et 70 places) qui allaient attirer du monde jusqu’à sa mise en vente, en 2001, par le consortium privé qui en était propriétaire. La Communauté flamande était très intéressée, mais c’est la Communauté française qui l’acheta finalement, dans la controverse. On parlait beaucoup de « flamandisation » de la culture à Bruxelles. Et on reprochait à la Communauté française de ne pas y investir assez. Le Ministre-Président (libéral) Hervé Hasquin entendait réagir! Le Théâtre National allait s’installer pour quelques saisons mais le grand projet serait cinématographique. La saga ne faisait que commencer…

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