[Le livre de la semaine] La douleur porte un costume de plumes, de Max Porter

Max Porter © LUCY DICKENS
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Un premier roman qui secoue la langue pour évoquer le deuil d’un père et de ses fils, épaulés dans l’épreuve par un… corbeau fort en gueule. Bouleversant.

Elle a disparu brutalement, laissant derrière elle deux Garçons et un Papa englués dans un chagrin sans fond. « La maison devient une encyclopédie physique d’elle sans elle, ça n’en finit pas de me secouer« , se désole un mari déboussolé ne sachant par quel bout prendre sa peine. Heureusement, ils ne sont pas seuls dans l’épreuve. Un soir, quelqu’un frappe à la porte de leur appartement londonien. C’est le Corbeau, oiseau du malheur -et non de malheur- venu les aider à entamer ce deuil impossible. « Nous pouvons faire ce que les autres personnages ne peuvent pas, manger la tristesse par exemple, ou renfouir les secrets, ou mener des batailles homériques contre le langage et Dieu« , lâche ce volatile espiègle et crâneur que « les humains [l’]ennuient sauf dans la douleur« .

[Le livre de la semaine] La douleur porte un costume de plumes, de Max Porter
© Seuil

Un hôte encombrant et sans-gêne qui use de la métaphore et de la parabole énigmatique pour désamorcer les questions qui rongent et paralysent le trio. Les enfants ont bien senti que quelque chose avait changé mais ne comprennent pas pourquoi du coup tout n’explose pas autour d’eux, à l’image du désordre intérieur qui les fait bouillir. « Ils sont où les pompiers? Ils sont où le bazar et le boucan d’un événement comme ça? Ils sont où les inconnus qui viennent nous aider, qui crient et qui nous lancent des trucs de secours fluorescents pour essayer de nous calmer et de nous sauver?« , s’interroge l’un des gamins entre deux souvenirs humides de la défunte et les récits de jeux sadiques. Car dans la détresse, tous les repères moraux ont fondu. Chacun tente comme il peut de transmettre le fardeau de sa douleur aux autres.

Lot de consolation

Entre la fable poétique et le conte fantastique, Max Porter réussit un petit bijou de premier roman émouvant sur cette mort injuste dont il a fait lui-même les frais à l’âge de six ans avec le décès de son père. Le livre fourmille d’ailleurs d’échos bigarrés du môme qu’il était et qui a dû s’inventer des personnages imaginaires pour peupler sa solitude. Celui qu’il met ici en scène est inspiré d’un poème de l’écrivain Ted Hugues, sur lequel travaille justement le paternel dans le livre, comme si son sujet s’était matérialisé pour venir à sa rescousse.

Grossier mais débarrassé du cérémonial social qui prolonge inutilement le deuil, le corvidé assène ses sentences cash, usant d’un langage imagé et contorsionniste comme un ver de terre: « A l’averdage, hideux tracas. Rien le bonjour, fric frac fricfrac c’est qui ça ces miettes lazarisibles de mes découpages? Attends coup d’aile poubelle tap et un tap et deux, enfants sans maman dans ma nasse, mon abside, à bouillir en marmites… » Il fourre son bec partout, humant l’atmosphère pour en jauger le degré de détresse. « Elle est repartie loin en arrière, bien avant toi. Elle est dans les jours dorés de son enfance. Les fantômes ne hantent pas, ils régressent« , croasse ce spécialiste des causes perdues pour rassurer le veuf éploré.

A force de lui voler dans les plumes, la mort finit par s’éloigner un peu, entrouvrant la porte à la consolation. Mission accomplie pour l’étrange visiteur au terme d’une fable à porter au revers de son coeur pour les jours de grande affliction.

DE MAX PORTER, ÉDITIONS DU SEUIL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (GRANDE-BRETAGNE) PAR CHARLES RECOURSÉ, 122 PAGES.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content