Le Liban à l’honneur au Nova

La Vallée de Ghassan Salhab, proposition captivante et meilleur film d'une sélection 100% libanaise. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Lebanon – Days of Tomorrow propose au Nova à Bruxelles films, concerts et expositions. Un rendez-vous marquant.

Le festival porte un titre évoquant le futur. Et donc l’espoir d’un avenir meilleur pour un pays dont nul n’ignore les graves questions qui le hantent et le meurtrissent. Mais l’art qui reflète, l’art qui exprime, l’art qui témoigne et qui interpelle se conjugue bel et bien au présent, tout en conservant la trace d’un passé troublé avec lequel on n’en a -loin de là- pas encore fini. Lebanon – Days of Tomorrow animera l’écran du cinéma Nova, au centre de Bruxelles, durant les mois de mai et de juin. Centré sur le 7e art, il comprend aussi des concerts, des expositions, des rencontres. Avec pour fil rouge ces crises qui ne cessent de fracturer un Liban dont les cinéastes font preuve d’une vitalité extrême, d’une lucidité implacable, et d’un humour salutaire. La quasi-totalité des fictions, documentaires, oeuvres d’animation, courts et longs métrages projetés au Nova dans le cadre du festival a été produite durant les cinq dernières années. C’est dire si les films sont en prise directe sur les réalités libanaises, et par-delà celles d’un Proche-Orient dont le pays du Cèdre fut et reste une caisse de résonance et un laboratoire tragique. Peut-être même au-delà de la région, les organisateurs du Nova osant conclure leur présentation en évoquant « le reflet d’un avenir qui pourrait bien nous attendre au tournant« …

Chacun sa bonne de Maher Abi Smara
Chacun sa bonne de Maher Abi Smara

Pour beaucoup, le cinéma libanais contemporain se limite à deux figures, féminines, connues par la grâce du circuit festivalier, à la diffusion régulière de leurs films en salle et à leur succès. Si Nadine Labaki (Caramel, Et maintenant on va où?) ne fait pas partie de la sélection, Danielle Arbid sera présente au Nova avec Allô chérie, essai vidéo de 2015 où la réalisatrice de Dans les champs de bataille et Peur de rien met en scène une femme en voiture circulant dans Beyrouth en donnant des coups de fils à travers lesquels se révèle une sourde angoisse du lendemain. Un itinéraire existentiel teinté d’absurde autour d’une quête d’argent, gage de sécurité dans un environnement suintant l’inquiétude. D’inquiétude, il en est aussi et spectaculairement question dans un des meilleurs films de la sélection: La Vallée, de Ghassan Salhab. Lequel sera présent le 11 mai pour présenter une oeuvre tournée en 2014 et que d’aucuns ont comparé au Théorème de Pasolini. Tout commence sur une route de montagne où un homme grand et chauve, rescapé d’un grave accident de voiture , erre jusqu’à ce qu’il rencontre les occupants d’une automobile en panne. Il les aide à redémarrer, et ils l’emmènent, reconnaissants, vers la ferme où ils habitent dans la plaine de la Bekaa. Amnésique, l’inconnu mystérieux suscitera des sentiments en sens divers, des soupçons aussi. Car une tension palpable domine les lieux, car des armes apparaissent, car la menace d’une violence incontrôlable se fait progressivement sentir. À raison… L’ombre de la guerre, des guerres, vécues par le Liban, plane sur un film captivant, où la quête de mémoire d’un individu en vient à exprimer celle de tout un pays fragmenté en communautés antagonistes, et où se sont multipliées les milices.

Allô chérie de Danielle Arbid
Allô chérie de Danielle Arbid

Regards critiques

Comme à sa bonne habitude, le Nova fuit le ronron rassurant pour lui préférer le piquant d’un regard critique. Ainsi celui de Maher Abi Smara (présent à Bruxelles le 24 mai), dont le documentaire Chacun sa bonne nous fait découvrir le métier de recruteur de domestiques pour la grande bourgeoisie locale. Les filles doivent être jeunes, voire très jeunes (entre sept et douze ans car « plus discrètes et faciles à gérer à cet âge« ) et être originaires d’ailleurs, du Sri Lanka, du Bangladesh ou des Philippines, parce que le fait qu’elles soient d’une autre culture « permet plus aisément de l’ignorer, d’effacer sa présence« . Elles arrivent via Dubaï, ou via le Soudan, avec au départ des visas touristiques. Chaque semaine, une d’entre elles met fin à ses jours… Le cynisme ambiant et le poids de la tradition se trouvent épinglés par ce film comme ils le sont par d’autres. La sélection opérée pour Lebanon – Days of Tomorrow offre à voir de nombreuses facettes d’un cinéma pluriel même s’il partage largement quelques thèmes majeurs tels la division, l’identité, la mémoire, la violence inscrite dans tous les esprits par seize années de guerre civile (1975-1991). Les films libanais adoptent le plus souvent une approche réaliste, et n’ont presque jamais froid aux yeux. La parole y est d’une liberté que les circonstances politiques ne cessent par ailleurs de tester. Pays de grande culture, le Liban ne cesse de générer, en marge d’une production commerciale en plein développement (des comédies, surtout), des démarches indépendantes d’une exigence et d’une valeur artistique prononcées. Rendez-vous au Nova pour en juger. Sans oublier d’aller voir l’exposition du collectif Samandal avec ses comics allumés, percutants. Ni de vibrer aux sons du Mawaran Trio, en concert le soir de la clôture (le 17 juin). Une formation créée par un chanteur et musicien né pendant la guerre civile et qui connut l’exil… en Belgique (il fut naturalisé en 2009). Une touche particulière, bien dans l’esprit d’un lieu ignorant les frontières, ces frontières que certains veulent au contraire renforcer, et pas seulement au Liban.

Lebanon – Days of Tomorrow, du 10/05 au 17/06 au cinéma Nova, 3 rue d’Arenberg, 1000 Bruxelles. www.nova-cinema.org

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