Nos batailles, Romain Duris en père courage

Nos batailles de Guillaume Senez, le portrait d'un homme (Romain Duris) en quête d'un équilibre entre vie familiale et engagement syndical. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Révélé au mitan des années 90 par Cédric Klapisch avant d’exploser chez Tony Gatlif, Christophe Honoré ou Jacques Audiard, Romain Duris franchit un nouveau cap aujourd’hui avec son rôle de père courage confronté à ses propres limites dans Nos batailles de Guillaume Senez.

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Visage émacié, corps sec, oeil un peu noir, parole quasi réfrigérée qui peine d’abord à se délier… C’est au lendemain du tournage de Vernon Subutex, série télé adaptée de la trilogie romanesque de Virginie Despentes dont la diffusion est pressentie pour février prochain sur Canal, que l’on rencontre Romain Duris afin de l’entretenir de Nosbatailles, deuxième long métrage de Guillaume Senez ( Keeper) où le cinéaste bruxellois creuse encore un peu plus loin la question de la paternité mais aussi son désir de vérité à l’écran. Duris y incarne un quadra professionnellement très engagé qui voit sa femme déserter le foyer familial du jour au lendemain, sans guère d’autres explications que quelques signes avant-coureurs de lassitude profonde, le laissant seul à la maison avec ses deux enfants. Un rôle qui fera assurément date dans le parcours du comédien. La vieille antienne de la maturité? En partie, oui, mais pas seulement. Où il est question d’exploser le cadre, de grandir avec le cinéma et de ne jamais rien considérer comme acquis.

On sait que Guillaume Senez ne donne pas de scénario fini à ses acteurs. Ils connaissent l’histoire mais les dialogues sont encore à construire. C’est une méthode de travail assez particulière, qui demande beaucoup d’implication mais aussi une certaine responsabilité sur le plateau en tant que comédien…

Oui, c’est-à-dire qu’il faut constamment être dans l’état de pouvoir proposer quelque chose, d’inventer. Ça demande une concentration de tous les instants, et de littéralement emporter le personnage avec soi. Il faut être à l’écoute, plus présent, spontané. On ne peut pas se mettre dans une position d’attente, se cacher derrière la technique ou un dispositif plus lourd à mettre en place. Personnellement, c’est la première fois que j’ai eu le sentiment de co-construire un film à ce point. Maintenant, c’est peut-être à moi de transporter ça dans d’autres façons de faire du cinéma, d’amener cette envie de faire reculer les contraintes dans des projets plus écrits, plus rigides.

Sans scénario complètement défini entre les mains, vous avez embarqué sur foi de quoi dans l’aventure Nos batailles?

Moi j’ai embarqué sur foi de Keeper, que j’avais adoré, et sur la rencontre avec Guillaume qui me parlait de l’histoire d’un père abandonné avec ses enfants. Ça m’a tout de suite fait penser à Dustin Hoffman dans Kramer contre Kramer. J’ai toujours trouvé ça très fort, très filmogénique, l’idée de cette espèce de course pour s’en sortir entre le boulot, les gamins. Et puis je sortais de plusieurs projets assez contraignants dans leur mise en place. La méthode de travail proposée par Guillaume représentait un défi mais ouvrait également sur une vraie liberté. J’avais ce désir d’exploser un peu le cadre.

Ça se traduit par quelque chose de très vivant à l’écran, mais probablement aussi parfois très chaotique sur le tournage, non?

Disons que ça implique que tout le monde joue le jeu. L’équipe technique doit suivre les comédiens jusque dans leurs débordements. On ne peut pas s’en tenir à des marques sur le sol, il faut que ce soit très mobile, très léger aussi. Guillaume a cette même exigence qu’un réalisateur qui arriverait avec un scénario très écrit, des dialogues très précis, mais il ne va jamais la faire peser sur nos épaules, il ne va jamais être dans le jugement de ce que les acteurs vont proposer. Il ne va pas nous casser dans nos élans. Au contraire. Il nous accompagne avec beaucoup de tact et de pudeur. C’est vraiment une gymnastique très habile.

L’un des postulats du film, c’est qu’il est difficile d’aider les gens qu’on aime…

Oui, ça me parle énormément cette aberration qui veut que ce personnage a davantage de facilité à aider au sein de son entreprise, de son usine, qu’au sein de sa propre famille. C’est quelque chose de très intéressant à jouer. Je pense que cette contradiction-là, elle saute aux yeux du spectateur, mais le personnage ne la voit pas. Pas tout de suite, en tout cas. Est-ce que sa femme est partie à cause de ça? C’est difficile à dire. Mais on sent bien qu’il y a un problème dès le départ. On a tous des difficultés à trouver un équilibre entre le travail et la famille. Bon moi, évidemment, j’ai la vie que j’ai, mais j’ai toujours essayé qu’il n’y ait pas de rempart entre ma vie personnelle et ma vie professionnelle. La première m’a toujours servi à alimenter la seconde, même si elle reste prioritaire ( Romain Duris a deux fils avec sa compagne, l’actrice Olivia Bonamy, NDLR). Je me suis toujours méfié d’une certaine superficialité du milieu du cinéma.

Nos batailles, Romain Duris en père courage

Nos batailles témoigne également de l’époque dans laquelle il s’inscrit. C’est un film qui parle d’une certaine accélération du travail, d’une certaine précarisation aussi… Il y a une volonté chez vous d’aller vers des objets de cinéma avec un vrai ancrage social?

Je crois que c’est important que le cinéma se fasse aussi l’écho du monde dans lequel on vit, oui. En filigrane du film, il y a bien sûr la folie Amazon, la question alarmante des conditions de travail chez certains géants de la vente. Mais j’aime bien l’idée que Nos batailles dénonce sans pour autant appuyer le propos. Il y a une certaine délicatesse qui subsiste. On n’est pas chez Stéphane Brizé ( réalisateur de La Loi du marché et de En guerre , entre autres, NDLR). Qu’elles soient professionnelles ou affectives, les douleurs, les souffrances, les injustices sont traitées avec une espèce de belle douceur. Mon rôle n’est pas politique, je n’en ai pas envie, mais quand il y a des films qui effleurent ça avec intelligence, j’adore. Le cinéma peut aider à grandir un peu.

Vous venez de finir le tournage de la série Vernon Subutex où vous tenez le rôle-titre. Est-ce que vous vous sentez proche du Paris de Virginie Despentes, le Paris punk de Patrick Eudeline, des marginaux, des utopies qui se fracassent dans le caniveau?

C’est vraiment une première pour moi, je n’avais jamais tourné pour une série télé. J’ai adoré le rythme de tournage, qui est très vif, très rapide. J’attends de voir le montage final, mais je suis très emballé par ce qu’on a fait. J’ai l’impression qu’il y a une âme, une vraie profondeur dans ce projet. Après, Virginie Despentes, je ne peux pas vraiment vous en parler. Je ne l’ai pas rencontrée. Le projet est vraiment porté par Cathy Verney, qui avait déjà tourné des épisodes de la série Hard pour Canal. Je ne peux pas dire non plus que je m’identifie pleinement à l’univers de Despentes. Moi je n’ai pas de tristesse, je ne suis pas quelqu’un de nostalgique. Je suis assez sur le présent. Mais oui, bien sûr, je suis né à Paris, j’y ai bougé durant toute ma vie, donc je vois complètement ce dont elle parle, comment la ville s’est transformée. En plus, ce sont mes quartiers de prédilection qu’elle décrit. Il y a quelque chose de très proche de moi dans tout ça. Mais je ne m’attarde pas sur la disparition des choses, sur le temps qui passe. Ce que j’aime dans Vernon Subutex, c’est tout le vécu que ça charrie. Ça vibre, c’est vivant.

On vous a récemment vu dans All the Money in the World de Ridley Scott. Comment avez-vous vécu cette expérience hollywoodienne?

C’est-à-dire que Ridley Scott, c’est quand même un peu Monsieur Cinéma ( sourire). Il est capable d’une incroyable spontanéité sur le plateau mais lui avec cinq caméras et un set-up gigantesque. Il peut en même temps vous murmurer quelque chose à l’oreille et diriger une monstrueuse armada technique. Son énergie m’a subjugué. Vraiment. Il a une capacité à rassembler les gens, aussi bien un Mark Wahlberg que des figurants qui ne parlent qu’en italien, qui est tout à fait bluffante. Mais donc la différence majeure entre les États-Unis et la France, c’est la taille, tout simplement: tout est beaucoup plus cher, tout est beaucoup plus lourd, le programme de la journée est réglé comme du papier à musique… C’est un peu fou. Alors maintenant, est-ce que j’ai envie de prolonger l’expérience internationale? Si les personnages sont riches, oui, moi j’y vais, sans hésiter. Par contre si c’est pour faire le Français de service sans épaisseur ni saveur, alors non, ça ne m’intéresse pas.

En l’espace de quelques mois, vous pouvez aussi bien tourner chez Ridley Scott que chez Serge Bozon, par exemple, être à la fois très populaire et très exigeant. Est-ce que vous avez le sentiment d’occuper une place un peu à part aujourd’hui dans le paysage cinématographique hexagonal?

Peut-être. Je ne sais pas. Ce qui est sûr, par contre, c’est que je me dis toujours que ça peut s’arrêter demain. Je n’oublie jamais ça. Ça a toujours été là, quelque part, dans un coin de ma tête. Quand vous faites ce métier, il faut vraiment être préparé à cette éventualité. De même que si rien ne me plaît, là, dans ce qui m’est proposé dans les douze prochains mois, eh bien je ne vais pas y aller. Je n’ai pas de plan de carrière. Rien n’est prédéfini. Je souhaite toujours rester aussi léger qu’à mes débuts. Je ne veux pas être installé.

Nos batailles, Romain Duris en père courage

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