Critique

[Le film de la semaine] Dogman, de Matteo Garrone

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

DRAME | Le cinéaste frappe un très grand coup, réussissant la synthèse entre le réalisme le plus fruste et le baroquisme d’une dimension mythologique de tous les instants.

Reality, Tale of Tales… Réalisateur transalpin adepte du conte noir à portée métaphorique, Matteo Garrone n’a pas toujours eu la main légère dans la foulée de Gomorra, estomaquante saga mafieuse au récit choral qui le plaçait sur la carte du cinéma mondial il y a dix ans déjà. Asséné bien plus que suggéré, le symbolisme canin de son nouveau Dogman avait en tout état de cause de quoi faire peur. Le cinéaste y frappe pourtant un très grand coup. Peut-être parce qu’il y réussit la synthèse entre le réalisme le plus fruste et le baroquisme d’une dimension mythologique de tous les instants -voir, par exemple, le combat biblique de David contre Goliath. Sans doute aussi parce qu’il maîtrise l’allégorie bestiale à la perfection. À l’époque, Gomorra était déjà pensé à la manière d’un reportage animalier, chacun des six personnages au coeur du film renvoyant à une espèce se débattant dans une jungle de béton: la fourmi ouvrière, l’insecte qui sort de terre, l’oiseau timoré, le rat qui rase les murs…

La manière forte

[Le film de la semaine] Dogman, de Matteo Garrone

Librement inspiré d’un fait divers qui défraya la chronique en Italie dans les années 80, Dogman prend à nouveau pour cadre la marina de Villaggio Coppola, au nord de Naples, no man’s land paupérisé où Marcello, toiletteur canin discret et apprécié de ses voisins, se retrouve entraîné dans une spirale criminelle, qu’il subit en véritable martyr, par Simoncino, ancien boxeur cocaïnomane tout juste sorti d’une prison dont les barreaux rappellent ceux des cages grillagées peuplant le commerce de Marcello. Entre ce dernier, toutou docile, et Simoncino, molosse écumant de rage, le rapport de force est clairement établi. Mais, à l’inverse de ce petit animal de compagnie réfrigéré sorti in extremis d’un congélateur afin de retrouver la chaleur de la vie, Marcello se durcit à mesure que se répètent les brimades et les humiliations. Dans une rare scène de liesse, les deux hommes se rendent dans un club où les filles dévêtues arborent des ailes d’anges, paradis éphémère, quand il n’est pas purement artificiel (Marcello revend de la came pour arrondir ses fins de mois), soulignant l’enfer et la désolation qui menacent au-dehors. Soit l’alpha et l’oméga d’un cinéma fort en gueules expressives, flirtant avec la farce et le grotesque pour mieux dire la violence du monde. Comme le visage antique, quasiment burlesque, de Marcello Fonte, indiscutable prix d’interprétation au dernier festival de Cannes, qui évoque les traits d’un Buster Keaton dont le vernis cireux aurait été figé en une grimace craintive. La fin du film, glaçante, siffle ainsi également celle d’un carnaval macabre où volent en éclats les masques d’une humanité de façade sans cesse rejouée, révélant l’ampleur d’une solitude ontologique rendue à sa vérité la plus crue, celle d’un dernier os famélique à ronger avant le tomber de rideau. Chienne de vie.

De Matteo Garrone. Avec Marcello Fonte, Edoardo Pesce. 1h42. Sortie: 01/08. ****

>> Lire également notre interview avec Matteo Garrone.

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