Critique

[Le film de la semaine] Carol de Todd Haynes, chef-d’oeuvre absolu

Rooney Mara et Cate Blanchett dans Carol de Todd Haynes © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Adaptant Patricia Highsmith, Todd Haynes signe un film incandescent, l’histoire d’amour de deux femmes que tout sépare a priori dans le climat social de l’Amérique des années 50 balbutiantes. Un pur chef-d’oeuvre, transcendé par Cate Blanchett et Rooney Mara.

Avec Carol, son premier opus pour le cinéma depuis I’m not There, en 2007, Todd Haynes renoue avec cette veine mélodramatique qui lui avait particulièrement souri dans le somptueux Far from Heaven, les deux films ayant encore en commun de mettre en scène des amours « interdites » dans l’Amérique corsetée des fifties. Adapté du roman The Price of Salt de Patricia Highsmith, Carol orchestre, dans le New York du début des années 50, la rencontre fortuite entre deux femmes, Therese Belivet (Rooney Mara), jeune employée dans un grand magasin de Manhattan, et Carol Aird, son aînée, modèle de sophistication de la Côte Est, étouffant dans un mariage malheureux. L’étincelle jaillit d’un croisement de regards, alors que la seconde venait acheter un jouet pour sa fillette; une paire de gants négligemment oubliée plus tard, et les voilà qui se revoient, à l’attirance initiale succédant bientôt des sentiments plus profonds. Lesquels, s’épanouissant dans la clandestinité, vont toutefois se heurter de plein fouet aux conventions de l’époque, et à l’hypocrisie d’une Amérique vouée au culte d’un bonheur de façade.

Grâce souveraine

L’ombre de Douglas Sirk plane délicatement sur ce film, au même titre, d’ailleurs, que celle du Brief Encounter de David Lean. Comme dans Far from Heaven ou la minisérie HBO Mildred Pierce, deux autres scintillants portraits de femmes, Haynes ose ici un classicisme totalement assumé, gage d’un surcroît de densité porté par une mise en scène aux veloutés subtils et sensuels. Pour autant, le cinéaste ne s’en tient pas à l’hommage appliqué, fût-il exécuté avec cette grâce souveraine que souligne la photographie feutrée d’Ed Lachman, son complice de nombreux films. Contrariée -Haynes recourt régulièrement à des vitres comme autant de filtres s’imposant entre elles-, la relation qui rapproche ses deux protagonistes a d’ailleurs la force (et bientôt une évidence) qui, non contente de braver les interdits, transcende aussi les époques.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

S’il atteint au sublime, ce film bouleversant le doit aussi, c’est bien le moins, à ses deux comédiennes. De Cate Blanchett, on savait qu’elle pouvait tout jouer, en ce compris… Bob Dylan, devant la caméra de Todd Haynes, déjà, pour l’incroyable I’m not There. Elle signe ici une composition millimétrée, évoluant tout en retenue à fleur d’une gamme de sentiments complexes. Vue notamment chez David Fincher dans The Social Network et Millenium, Rooney Mara ne lui cède guère en profondeur ni en intensité sous ses airs d’Audrey Hepburn revisitée. Le jury cannois a choisi de les dissocier de manière totalement incompréhensible, ne gratifiant que la seconde d’un prix d’interprétation amplement mérité. Qu’à cela ne tienne, elles illuminent de concert cette oeuvre de toute beauté, à ce point inspirante et émouvante que l’on jurerait, 2016 à peine déflorée, tenir là, déjà, le film de l’année. Un chef-d’oeuvre absolu.

DE TODD HAYNES. AVEC CATE BLANCHETT, ROONEY MARA, SARAH PAULSON. 1 H 58. SORTIE: 13/01.

Dans le Focus du 8 janvier, notre interview de Todd Haynes.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content