Serge Coosemans

Le Brady, cinéma de quartier et cour des miracles

Serge Coosemans Chroniqueur

Petite forme mais grande lecture pour Serge Coosemans cette semaine, qui nous vante les mérites du livre de Jacques Thorens, Le Brady, cinéma des damnés, sorti fin 2015. Un bouquin sur le cinéma, sur le cinéma de quartier, sur Jean-Pierre Mocky, les salons de coiffure africains, les putes bulgares et la cloche parisienne. Glauque? Non, drôle. Crash Test S01E27.

Le Brady, cinéma de quartier et cour des miracles
© Éditions Verticales

Outre de manger des tomates, en voilà un autre, de bon conseil: Le Brady, cinéma des damnés par Jacques Thorens, aux éditions Verticales. Jacques Thorens? Jack Torrance? Si le nom (de plume?) de l’auteur peut rappeler le personnage de Jack Nicholson dans Shining, ce qui est sûr, c’est qu’il ne connaît aucune angoisse de la page blanche, lui. Sans compter les appendices, son bouquin est un petit pavé de 330 pages, et il tourne bien un peu en rond, par moments. Voilà pour la critique, la seule. Cette histoire d’une salle de quartier spécialisée dans le cinéma bis est sinon assez parfaite, souvent hilarante, émouvante même. Télérama en a parlé comme d’« une tentative d’épuisement d’un lieu parisien » et c’est là tout le génie du livre: ne pas se contenter de raconter les coulisses du « temple de l’épouvante » mais aussi dresser le portrait un rien vachard de l’inénarrable Jean-Pierre Mocky, propriétaire des lieux de 1994 à 2011, et aussi s’attaquer de façon très gonzo à la typologie d’un quartier prolétaire et interlope, Strasbourg Saint-Denis, riche en salons de coiffure africains aux noms bibliques et en prostituées chinoises et bulgares, pour qui Le Brady fit d’ailleurs office de consigne, certaines y laissant leurs courses à la caisse. Thorens nous en parle presque autant que du monde des nanars, des dessous pas vraiment éthiques de la distribution de films et même des dangers mortels auxquels se trouverait confronté un projectionniste un rien distrait, les machines d’avant le numérique, mal utilisées, étant susceptibles de carboniser et même d’empaler quelqu’un.

Et puis, comme une majorité de « clients » ne venait pas spécialement au Brady pour voir ces films aux titres aussi improbables que Tarzan à Moscou, Zorro et les trois mousquetaires ou La Chevauchée des morts vivants mais plutôt pour dormir et chercher un peu de réconfort entre hommes, il est aussi beaucoup question de clochards, de leurs pratiques quotidiennes et de la sexualité des retraités homosexuels maghrébins. Rien de glauque, rien de triste. Au contraire, les souvenirs de Thorens, qui travailla au Brady au début des années 2000, sont dignes de sketches et sa façon de les raconter toujours moqueuse et jubilatoire. C’est qu’au Brady, il y avait parfois plus de monde aux toilettes que dans la salle, on y vira quelques fois des types complètement à poil et il arriva même qu’un spectateur y cuise des saucisses sur un Butagaz. Et puis, si l’un ou l’autre habitué vous trouvait sympa, il pouvait aussi vous sortir des choses du genre « allez viens, j’ai de l’argent, je t’emmène dans une boîte à partouze, il y aura peut-être Depardieu ».

Le Brady, cinéma de quartier et cour des miracles

Bref, c’est une collection de saynètes d’un autre monde, voisin mais inconnu, marginal, peut-être mort. Revendu par Mocky il y a 5 ans, aujourd’hui rénové, Le Brady est désormais un cinéma d’art et d’essai propret et sans histoire. Le genre de films qu’on y projetait n’a plus rien de honteux, notamment réhabilités par Tarantino, et désormais, zombies et vampires sont bien davantage dans les blockbusters que dans les séries Z. « Blaxploitation, giallo, kung-fu, western-spaghetti, porno, étrangleurs, bossus, femmes fouettées en prison, morts-vivants, lézards en plastique, érotico-cannibales » se visionnent dans les cinémathèques et s’achètent assez facilement en DVD, sans devoir chercher très longtemps. Les cinémas de quartier n’existent plus ou presque. Pour une majorité de gens, aller au cinéma, c’est aller au multiplexe, où il serait par ailleurs fort mal vu de se tripoter. Le bouquin n’est cela dit pas que destiné aux grands nostalgiques de cette époque révolue et nettement moins aseptisée. Même ceux qui visionnent les films sur un écran d’ordinateur y trouveront quelques raisons d’ouvrir grands la bouche et les yeux, tant que ce qu’il s’y raconte est souvent énorme. Mes bronches cette semaine fort malades ne le remercient pas, d’ailleurs. J’aurais eu beaucoup moins mal en riant moins.

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