La fureur de lire

The Book Thief © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Film relativement anecdotique orienté jeune public, The Book Thief donne surtout l’occasion de rappeler que le 7e art n’a cessé de célébrer le livre et ses pouvoirs, bénéfiques ou néfastes. Tour d’horizon.

Drame de guerre policé s’intéressant au quotidien des civils côté allemand à la charnière des années 30 et 40 à travers le destin d’une jeune analphabète, Liesel, dont le foyer d’adoption deviendra aussi celui de son éveil à la lecture, The Book Thief (lire la critique) vaut essentiellement pour l’ode vibrante dont il se double, le film ne cessant de réaffirmer sa croyance dans le pouvoir des livres et de l’écriture, antidotes radicaux à la bêtise et à la barbarie ambiantes. Et véritables sésames permettant de s’affranchir de sa misérable condition.

Rencontré à Berlin en pleine promo du film, son réalisateur Brian Percival ne nous disait d’ailleurs rien d’autre: « Commencer à lire des livres vous donne accès au libre arbitre, ça vous ouvre à des nouvelles idées, de nouvelles perspectives. En ce sens, on peut dire que les livres ont réellement un pouvoir, oui. A cette époque, en Allemagne, Hitler avait une véritable emprise sur la parole, qui était par ailleurs confisquée, il jonglait avec les mots pour manipuler les gens et les faire adhérer à ses idées. En apprenant à lire, puis à écrire, c’est un peu comme si Liesel, la jeune héroïne du film, reprenait le contrôle des mots et, ce faisant, le contrôle de sa propre vie, de sa destinée.  »

Livre remède et livre interdit

Le livre et la lecture comme autant de remèdes aux maux de l’existence: l’idée n’est pas neuve, qui irrigue tout un pan du cinéma plus ou moins récent, à commencer par les chroniques adolescentes, de Dead Poets Society (Peter Weir, 1989) à The Perks of Being a Wallflower (Stephen Chbosky, 2013), pour ne citer que ceux-là. Dans The Book Thief, Liesel obtient une sorte de laissez-passer pour une impressionnante bibliothèque privée, avant que l’accès ne lui en soit interdit, la contraignant à voler ou plutôt « emprunter », selon ses mots, les livres dont elle se repaît désormais compulsivement.

C’est par procuration, quant à elle, que l’héroïne de The Reader (Stephen Daldry, 2009), trentenaire analphabète, doit satisfaire son amour naissant pour la littérature. La lecture que lui fait Michael, son jeune amant, de grands classiques –L’Odyssée, Guerre et Paix, L’amant de lady Chatterley, et même Tintin– faisant partie intégrante et, mieux, cristallisant la relation charnelle qui les lie. La honte de son propre illettrisme l’ayant par ailleurs poussée, quelques années plus tôt, à collaborer aux atrocités nazies, puis à endosser la responsabilité de bien pire encore.

Là aussi, la lecture est envisagée comme la clé pour une vie, voire un monde, meilleur(e). Eveilleur de conscience, passeport pour l’imaginaire et la pensée critique, le livre est logiquement craint et frappé du sceau de l’interdit par toutes les formes de totalitarisme. Ce sont les autodafés nazis d’où Liesel sauvera un exemplaire encore fumant de L’Homme invisible de H.G. Wells. Ou les foyers que les pompiers du Fahrenheit 451 de Truffaut (1966), adaptant Ray Bradbury, sont chargés d’allumer, dans un contexte dystopique fascisant où les livres, jugés trop dangereux, sources de malheur et de déviances, sont tout simplement bannis. Contexte dans lequel Montag, l’un de ces hommes du feu d’un genre particulier, développe bientôt un goût inattendu pour ces objets de papier qu’il est censé détruire, la lecture du David Copperfield de Dickens d’abord, de piles d’autres ensuite, réveillant bientôt son besoin d’exprimer sa singularité et ses opinions propres, en marge d’un système largement déshumanisant poussant les hommes à organiser une résistance où ils deviennent eux-mêmes des livres vivants, afin d’en assurer la survivance.

Livre magique et livre maudit

Objet de résistance, le livre est un talisman, au figuré comme au propre d’ailleurs, ouvrant sur tous les possibles. C’est le cas notamment dans The Never-Ending Story (Wolfgang Petersen, 1984), délicieuse kitscherie eighties pour les kids vantant les vertus de l’identification par le biais du fantastique, la lecture d’un vieil ouvrage dont il deviendra peu à peu l’un des héros confrontant le jeune protagoniste du film à ses propres peurs d’enfant souffre-douleur et en deuil. Le monde réel et le monde merveilleux de Fantasia, constitué des espoirs et des rêves des hommes, ne cessant de se faire écho, pour une célébration épique de l’imagination et des utopies.

Même magique, le livre n’en demeure pas moins potentiellement dangereux. Dans The Ninth Gate, nanar polanskien de 1999, Johnny Depp se met en quête des exemplaires existants d’un manuel d’invocation satanique écrit en collaboration avec Lucifer lui-même, objet de toutes les convoitises semant mort et désolation parmi ceux qui le tiennent entre leurs mains. Le mythe du Delomelanicon, rédigé par Satan suite à son expulsion céleste, renvoie ainsi immanquablement à celui du Necronomicon, livre des morts imaginé par H.P. Lovecraft et intarissable source de fantasmes pour le cinéma à tendance horrifique, de The Haunted Palace de Roger Corman (1963) aux Evil Dead de Sam Raimi (1981, 1987 et 1992), et jusque dans des variations plus ou moins singulières et/ou inspirées -le Maléfique d’Eric Valette (2003), au hasard.

Le livre qui tue se déclinant par ailleurs tout aussi bien sur un mode réaliste. Comme dans l’abbaye bénédictine du Nom de la rose (Jean-Jacques Annaud, 1986), où le deuxième livre de la Poétique d’Aristote, entièrement dédié à la comédie, et donc à même de corrompre les esprits et les âmes, élimine ses lecteurs par un habile système de pages empoisonnées. « Le livre est le double de l’homme, le brûler équivaut à le tuer« , soutenait Lucien Xavier Polastron. Et vice versa, donc.

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