Laurent Raphaël

L’édito: Western union

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Cinéma, télé, bande dessinée, musique…: le western n’est pas mort.

La semaine dernière, au rayon frais du supermarché cinématographique, on avait le choix entre un grand saut dans le futur foufou et dystopique de Steven Spielberg avec son Ready Player One, et un bond en arrière dans la mythologie américaine avec une triplette de films secouant le cocotier de la conquête de l’Ouest, en l’occurrence Hostiles de Scott Cooper, The Rider de Chloé Zhao et, pour les pieds tendres, Croc-Blanc d’Alexandre Espigares. Premier enseignement: le western n’est pas mort. En version crépusculaire, contemporaine ou drapé dans les habits du récit d’aventure, ces trois films barbotent dans la même mare fictionnelle.

Une sorte de résurrection pour un genre qui était tombé dans le coma même s’il donnait encore ponctuellement des signes de vie grâce à quelques audacieux biberonnés au western spaghetti et aux classiques de John Ford ou Sam Peckinpah, comme ce diable de Quentin Tarantino avec son pétaradant Django Unchained ou ce vieux routier de Tommy Lee Jones avec son rugueux The Homesman. Si l’emballage esthétique se faisait donc plus rare, son ADN continuait toutefois à survivre dans le corps de films contemporains épousant sa structure orgasmique et ses thèmes de prédilection: la traque, la violence, la vengeance, la lutte du bien et du mal… C’est évident dans un film comme Comancheria de David Mackenzie, qui se passe aujourd’hui mais coche toutes les cases du pedigree. Ça l’est un peu moins dans La Isla mínima d’Alberto Rodríguez, qui cache pourtant un moteur de western sous ses dehors de thriller rural ibérique.

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Voilà donc l’espèce réanimée et à nouveau dans son jus d’origine, avec Stetson, colts à six coups, soldats sans foi ni loi, chevaux écumants, parties de rodéo, Indiens aux regards impénétrables et nature sauvage implacable. Il faut dire qu’on avait commencé à sentir le vent tourner avec les incursions répétées de l’autre côté du Rio Grande, dont le Wind River de Taylor Sheridan, qui sort aujourd’hui en DVD. Et surtout avec ces séries télé chevauchant la même monture mythologique, en mode réaliste pour Deadwood ou Godless, en mode science-fiction pour Westworld.

Car ces étincelles pourraient passer pour un feu de paille si le cinéma tirait seul la diligence. Or son univers impitoyable (coucou Clint) suinte par tous les pores de la création artistique. Prenons la bande dessinée, qui n’a jamais vraiment quitté le Far West avec l’inusable Lucky Luke, mais qui connaît une ruée vers ce nouvel eldorado. Dans la masse des séries récentes, citons ainsi Duke, Bouncer, Undertaker ou Marshal Bass. Mention spéciale à l’album Mondo Reverso, qui inverse les codes en faisant jouer les rôles de mecs par des femmes et les potiches de saloon par des hommes. Une fibre féministe qui résonne avec l’actualité. Le retour de la gâchette la plus surréaliste du plat pays, l’impayable Cowboy Henk et le gang des offreurs de chevaux du tandem Herr Seele-Kamagurka (oui, l’intrépide dévaliseur de sens qui illustre chaque semaine cette chronique) confirme à sa manière délicieusement absurde cet état de grâce.

Plus étonnant et plus révélateur, car ce n’est pas à priori un univers fréquenté par les jeunes gens modernes, même des chanteurs pop se laissent imprégner par la nostalgie des grands espaces battus par les vents. Ici, plus que la violence et l’injustice, c’est la simplicité des rapports humains dans une nature préservée qui sert d’aiguillon ou de machine à fantasmes. On pense notamment à Lylac, dont le Buffalo Spirit raconte l’errance d’un « lonesome cow-boy » dans l’enfer urbain.

Cerise sur le gâteau, le prochain Scorsese naviguera dans les mêmes eaux saumâtres avec l’adaptation de l’enquête de David Grann (publié aux éditions Globe sous le titre La Note américaine) sur les meurtres en série dans les années 20 d’Indiens Osage assis sur des montagnes de pétrole. Dans ce Far West tardif, on verra que les stéréotypes ont la vie dure et que l’appât du gain justifie les moyens.

Cette vaste reconquête de l’Ouest conjugue au moins trois dynamiques: la première, l’envie cyclique de dépoussiérer un style abandonné de longue date sur une étagère. La deuxième, la tentation d’un parallèle entre une époque brutale et le monde vacillant actuel. Et enfin, la troisième, contre-pied de la précédente, le besoin de renouer avec l’esprit d’aventure et le sentiment de liberté d’un cadre de vie sans autoroutes, sans GSM, sans Internet. Voilà pourquoi « le western moderne est installé dans le secteur » comme le chantait l’Indien des villes MC Solaar sur l’album Prose combat.

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