Laurent Raphaël

L’édito: Sex and the City

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« #balancetonporc: certains patrons et vedettes du monde des médias, de la télé et du cinéma doivent suer à grosses gouttes en se demandant quand leur tour viendra, tant la promotion canapé semble avoir été la norme. »

Même si les émanations fétides des révélations empestent encore l’air, on peut déjà tirer quelques leçons de l’affaire Harvey Weinstein. Premier enseignement: le « mogul » d’Hollywood est l’arbre qui cache la forêt des prédateurs sexuels actifs dans la jungle du show-biz. On avait déjà eu un aperçu des moeurs en vigueur sur Sunset Boulevard avec Bill Cosby, accusé d’agression sexuelle par plus de… 60 femmes et néanmoins sorti libre de son procès en juin dernier, non pas au bénéfice du doute -il n’y en avait plus guère- mais de la prescription. De quoi nourrir des soupçons de « système » plus ou moins toléré par le milieu, que confirme ce nouveau scandale se jouant à un niveau encore plus stratosphérique. Plus question ici de noyer le poisson en invoquant le consentement, la vengeance d’une actrice ratée ou une tentative grossière d’extorsion de fonds quand on a affaire au gratin féminin du cinéma américain. Si même les Angelina Jolie, Gwyneth Paltrow ou Ashley Judd n’ont pu échapper à la perversion de Weinstein et ses semblables, et ont même dû la boucler pendant des années, par refoulement ou par peur de se faire blacklister, il ne faut pas demander comment cela se passe au bas de l’échelle sociale, avec des filles plus jeunes, sans protection ni relais médiatique… Le barrage de l’omerta a cédé grâce au travail de journalistes du New York Times. Et c’est comme si la parole s’était soudain libérée, pour le plus grand plaisir des médias, trop heureux de relayer les détails croustillants sans craindre pour une fois l’accusation de sensationnalisme. La noblesse de la cause absout des petites dérives…

#balancetonporc: certains patrons et vedettes doivent suer u0026#xE0; grosses gouttes en se demandant quand leur tour viendra.

La chasse aux « porcs » (allusion au hashtag #balancetonporc qui symbolise désormais la lutte contre les harceleurs sur Twitter) est ouverte! Avec les risques de dérapages propres à ce genre d’opération de grand nettoyage. Reste que certains patrons et vedettes du monde des médias, de la télé et du cinéma, aux États-Unis mais aussi en Europe, doivent suer à grosses gouttes en se demandant quand leur tour viendra, tant la promotion canapé semble avoir été la norme à certains étages de l’industrie du divertissement. Ça balance d’ailleurs déjà pas mal sur les réseaux sociaux. Comme la chanteuse Björk qui a affirmé sur Facebook avoir été harcelée par Lars von Trier. Le début d’une prise de conscience? On peut rêver.

Seconde leçon, qui découle de la première: le sexe est intrinsèquement lié au pouvoir. Rien de neuf, c’est comme ça depuis la nuit des temps mais on faisait semblant de croire qu’avec la civilisation on avait passé une laisse à nos instincts primaires. DSK nous a réveillés de nos douces illusions. Plus qu’un puissant aphrodisiaque comme on le présente parfois, le pouvoir est un désinhibiteur de pulsions. En désactivant les pare-feux moraux qui nous servent de camisole, il met à nu une forme de bestialité. À défaut de droit de cuissage, ces hommes influents ont donc inventé le chantage à la carrière pour s’assurer une domination sexuelle, seule certification qui compte à leurs yeux de leur pouvoir, bien plus peut-être que l’argent et les biens matériels. Sans cette « validation » libidineuse, le titre de mâle dominant que leur confèrent pacifiquement leur fonction et leurs privilèges sociaux reste abstrait, comme désincarné.

Est-ce la loi des séries ou une fâcheuse coïncidence? La même semaine que la chute de Weinstein, en France, les Inrocks déclenchaient une vague de protestation digitale de grande ampleur en mettant en couverture Bertrand Cantat. Avec le problème ici que l’indécence de la mise en scène (la photo de l’ex-Noir Désir est accompagnée d’une citation où il s’épand sur son mal de vivre) et l’absence de motif artistique valable (le premier single L’Angleterre de l’album solo à venir est un ramassis de clichés sirupeux) dynamitent la nuance nécessaire à l’appréciation de son cas particulier. Devant cette provoc facile, comment encore défendre l’idée qu’un homme (ou une femme) qui a purgé sa peine a droit à réintégrer le monde des vivants? Sinon il aurait a fortiori fallu fermer les yeux et se pincer le nez devant tous les films de Michel Audiard, des Tontons flingueurs à Ne nous fâchons pas, dont François Forestier rappelle le passé collabo dans le Nouvel Obs, avec la circonstance aggravante que le génial dialoguiste n’a lui jamais été inquiété par la justice.

Une chose est sûre, ces écarts de conduite ne vont pas arranger le matricule des hommes, déjà irrémédiablement terni aux yeux des post-féministes, qui se verraient bien faire sécession. Drôle d’époque.

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