Laurent Raphaël

L’édito: Révolution de carrière

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Pour nous autres modestes anonymes évoluant à des années-lumière des feux de la rampe hollywoodienne, il est rassurant de constater qu’il y a une vie après le blockbuster. Une vie presque normale s’entend.

On pourrait en effet penser que décrocher la timbale mondiale pour un acteur ou une actrice revient à se voir décerner un titre de noblesse -pas une breloque en chocolat mais une distinction qui en impose, du genre duc/duchesse-, le ou la condamnant à jouer par la suite toujours dans la même cour des grands. Si pas par contrat, du moins pour tout ce qui fait rêver dans les chaumières: le luxe, la richesse, la gloire, la célébrité.

Certains ont pourtant beau être « nés » à l’écran sur le versant ensoleillé de la montagne, ils ont décidé de tourner le dos à la grande vie en poursuivant leurs carrières de l’autre côté, sur les chemins escarpés et cabossés d’un cinéma d’auteur plus aventureux, plus casse-gueule, moins exposé mais souvent aussi plus excitant, plus audacieux et plus grisant. Des habitués de Cannes ont fait ce choix courageux qui ne doit donc rien à un coup de mou professionnel qui les obligerait à revoir leurs prétentions à la baisse. L’industrie leur fait toujours les yeux doux mais ils s’ennuient visiblement autant à tourner les navets qui sortent à la chaîne des studios que nous à les regarder.

Il est rassurant de constater qu’il y a une vie apru0026#xE8;s le blockbuster. Une vie presque normale s’entend.

Parmi ces francs-tireurs, Kristen Stewart, membre du jury de Cannes cette année. Même si on l’avait déjà aperçue ado dans Panic Room aux côtés de Jodie Foster, c’est la saga phénomène Twilight qui la hisse au sommet. Elle aurait pu se contenter de dérouler dans la foulée. Par exemple en se mettant au service des franchises Marvel dans lesquelles son physique androgyne aurait certainement trouvé costume de super-héroïne à sa taille. Mais c’est bien connu, le vampire est un rebelle. Il ne se laisse pas apprivoiser et se nourrit de sang frais. C’est donc loin de la lumière qu’elle s’épanouit. Poussant même la coquetterie jusqu’à jouer dans des films français, en l’occurrence ceux d’Olivier Assayas, pour lequel l’Américaine a enchaîné Sils Maria et Personal Shopper. Plus qu’une volonté de se démarquer, un parti pris esthétique fort. Et une prise de risque maximale qui aurait pu lui coûter une éclipse partielle ou totale dans les médias. Mais la jeune femme n’est pas née de la dernière pluie. Elle a bien compris le fonctionnement de la machine médiatique, dont elle s’est déjà servi pour distiller ses opinions sur la liberté sexuelle, elle qui a fait son coming out, ou sur la politique de Trump. En prêtant sa silhouette fuselée à Chanel et en retournant de temps en temps se montrer dans une grosse cylindrée qui fera le tour du monde (comme Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee), elle s’assure l’autonomie financière qui lui garantit une liberté artistique totale. Pas bête la guêpe.

Un air de fronde devait souffler sur le tournage de la série vampirique puisque l’autre bel exemple d’affranchi s’est fait connaître au même moment. Il s’agit évidemment de Robert Pattinson. Avec l’étiquette de sex-symbol collée sur le dos, il avait sans doute encore plus à perdre que son ex-compagne à l’écran -et à la ville- à casser son image. La similarité des parcours des deux est d’ailleurs troublante. Adaptations de classiques de la littérature (Sur la route pour elle, Bel-Ami ou Cosmopolis pour lui), films français (Assayas donc pour Stewart, Claire Denis pour Pattinson, qui l’embarque dans son prochain film, High Life), pubs pour l’univers du luxe (Chanel versus Dior) et prestations impeccables dans des projets anti-glam au possible (Certaines femmes de Kelly Reichardt pour l’une, Good Time des frères Safdie pour l’autre) balisent une double carrière tout-terrain sans faute de goût.

On n’en connaît pas beaucoup d’autres qui ont su se défaire de cette première peau scintillante pour jouer une carte plus auteuriste. Marion Cotillard, découverte dans… Taxi, fait des allers-retours entre blockbusters et les Dardenne ou Desplechin. Mais en matière de grand écart, la palme revient sans doute à Selena Gomez, pur produit Disney qui a carbonisé son image de poupée en se frottant à l’univers dingo de Harmony Korine pour le barré Spring Breakers. On s’en voudrait cependant de terminer ce tour d’honneur sans saluer la mémoire de Johnny, le roi du cross-over. Le chanteur ultra populaire qui pourra aligner sur son CV des noms comme Jean-Luc Godard, Costa-Gavras, Patrice Leconte ou Lætitia Masson n’est pas encore né. Respect.

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