Laurent Raphaël

L’édito: Justice League, la vengeance au féminin

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Les écrivains, réalisateurs et scénaristes n’ont pas attendu l’affaire Weinstein pour mettre en scène dans la fiction des femmes se révoltant contre une injustice flagrante, un mari brutal, le meurtrier de leur enfant, l’apathie insupportable de la société.

À défaut de marc de café ou de tarot, on peut toujours se fier aux indices laissés par la fiction pour prédire l’avenir. Après coup, on se dit ainsi que l’affaire Weinstein et ses nombreuses répliques étaient inscrites dans les astres de la galaxie artistique. Non qu’un ou une scénariste extralucide ait imaginé l’enchaînement exact des événements, mais en reliant certaines préoccupations récurrentes, en comparant certains schémas narratifs redondants, on voit bien que les cendres d’un malaise profond couvaient sous la braise du glamour et des sourires terrifiés. Les écrivains, réalisateurs et scénaristes n’ont pas attendu l’ouverture officielle de la chasse au prédateur sexuel pour mettre en scène dans la fiction -qui joue ici à plein son rôle d’inconscient collectif- des femmes se révoltant contre une injustice flagrante, un mari brutal, le meurtrier de leur enfant, l’apathie insupportable de la société. Et ce, avec un degré de violence et de détermination inédit.

Les u0026#xE9;crivains, ru0026#xE9;alisateurs et scu0026#xE9;naristes n’ont pas attendu l’affaire Weinstein pour mettre en scu0026#xE8;ne la vengeance au fu0026#xE9;minin.

Oui, on sait. Kill Bill ne faisait pas dans la dentelle et entonnait déjà en 2003 le refrain strident et sanglant de la vengeance au féminin. Sauf que la samouraï en combinaison jaune opérait sur le terrain du cinéma de genre, laboratoire où les audaces formelles diluent quelque peu la puissance politique du message. Que la plupart des films ayant effleuré cette question soient passés par la voie moins glissante du bis (de Carrie de Brian De Palma à Death Proof de Quentin Tarantino) n’est donc pas un hasard, la révolte du « second sexe » étant longtemps restée taboue. Il y a bien quelques exceptions (comme La Vengeance d’une femme de Jacques Doillon en 1969 ou L’été meurtrier de Jean Becker en 1983), mais ce sont des cas isolés. Rien à voir donc avec la soudaine éruption volcanique actuelle.

Un cadastre non exhaustif nous conduit tout d’abord au cinéma. Dans Three Billboards Outside Ebbing, Missouri une mère écoeurée (épatante Frances McDormand) par l’absence d’avancée dans l’enquête sur le meurtre de sa fille décide d’utiliser les grands moyens pour secouer l’apathie de la police locale, quitte à se mettre à dos une bonne partie de la communauté ou à prendre le risque de traverser le miroir de la moralité. Lancée dans sa croisade, plus rien ne semble pouvoir l’arrêter. Quoi que… Avec moins de subtilité et moins d’humour mais sur un canevas similaire, Fatih Akin rissole les même ingrédients dans la poêle rance de In the Fade, mais cette fois-ci sur fond d’attentat néo-nazi, dont les auteurs vont subir les foudres d’une Diane vengeresse privée de son mari et de son fils. Le raffinement, la poésie et la perversion sont par contre bien au rendez-vous chez Park Chan-wook, qui explorait en 2016 les arcanes de la vindicte féminine dans l’abyssal Mademoiselle, dernier maillon d’une trilogie sur ce thème décidément fécond. On notera au passage que tous ces films ont été réalisés par des hommes.

Le cinéma s’ouvre aux insoumises, mais ce n’est rien à côté des séries télé, véritable bastion de la révolte féministe. La série la plus engagée sur ce terrain en 2017 est certainement Big Little Lies, qui prend carrément le contre-pied du rapport de force habituel (attention spoiler) en montrant ses héroïnes (incarnées notamment par Nicole Kidman et Reese Witherspoon) tuer sauvagement le mari maltraitant de l’une d’entre elles. Une manière de se réapproprier la violence subie depuis des millénaires et un geste de défi qui vaut manifeste. La violence comme levier d’action et comme exutoire, on la retrouve encore dans Aurore, la mini-série de Laetitia Masson, même si elle est dirigée ici contre une autre fille, coupable du meurtre du petit frère de la justicière. La morale n’est plus un frein, ni cette ligne rouge à ne pas franchir pour ne pas salir la pureté du geste censé rétablir la balance de la justice. « S’il faut se salir les mains et la conscience pour obtenir réparation, tant pis », nous disent toutes ces femmes. Madeleine Péricourt arrive au même constat dans Couleurs de l’incendie, le nouveau roman de Pierre Lemaitre, alors qu’elle met au tapis les salauds qui ont profité de la situation. Un verrou a sauté. Le blocage qui imposait à la femme une certaine mesure dans la réponse à l’agression -figure maternelle oblige- vole en éclats. Signe des temps, même l’innocent duo r’n’b Juicy fantasme une croisade anti-mâle dans un clip animé à l’esthétique cartoon où leurs avatars pourchassent un gamin affolé pour lui couper les bijoux de famille. « Second degré« , plaident les demoiselles. Ouf, il est donc encore possible de rire de tout, même de la guerre des sexes. Mais pour combien de temps?

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