Laurent Raphaël

L’édito: Du rififi à Cannes

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Sans attendre le verdict du jury, on connaît déjà le nom d’une des gagnantes de cette 70e édition du festival de Cannes: Netflix.

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En plaçant deux films dans la compétition, la plate-forme de streaming avait déjà réussi un joli coup de pub. Mais en faisant savoir qu’elle n’avait pas pour autant l’intention de sortir le Bong Joon-ho et le Noah Baumbach en salles, elle s’est carrément offert une polémique sur l’avenir du cinéma au dernier endroit où on l’attendait. à ceux qui lui reprochent de se montrer ingrate, Netflix répond en gros: fallait pas m’inviter. Entre la satisfaction narcissique du petit milieu et la satisfaction sonnante et trébuchante de ses 100 millions d’abonnés qui n’ont pas envie d’attendre des lustres avant de se jeter ces deux titres derrière la cravate (la loi française stipule qu’un film qui sort en salles ne peut pas être mis en ligne avant trois ans), le géant du Net a vite fait son choix. Au grand dam de la direction du festival qui a fait entrer le loup dans la bergerie -autant sans doute pour la qualité intrinsèque des oeuvres sélectionnées que dans un geste d’ouverture envers un acteur appelé à jouer, comme Amazon, un rôle clé dans la production de longs métrages. Au grand dam aussi des exploitants de salles et de certains artistes attachés au magnétisme du grand écran, au premier rang desquels le président du jury himself, Pedro Almodovar, qui a usé d’une formule empirique pour expliquer qu’on ne pouvait pas parler de cinéma si la taille de la lucarne était plus petite que le canapé dans lequel on était assis.

Vu de Bruxelles, de Liège ou d’Arlon, le débat peut sembler lointain et abstrait. Après tout, la majorité des films qui sont montrés à Cannes n’arriveront jamais jusqu’à nous, que ce soit par le canal des salles, de la télévision, du DVD ou du streaming légal. C’est pourtant l’avenir du cinéma sous sa forme actuelle -pour faire court, une salle équipée d’un écran XXL et d’équipements audio de pointe- qui se joue sur la Croisette. Le piratage d’abord, les nouveaux acteurs venus d’autres métiers périphériques ensuite (avant de se reconvertir avec succès dans le streaming, Netflix louait des DVD par la poste), à quoi il faut également ajouter l’incapacité de Hollywood à se renouveler dans son segment, le divertissement populaire. Ces trois éléments ont mis sous pression le modèle classique de la distribution.

Comme pour la musique, mais avec un temps de retard, le 7e Art fait aujourd’hui sa crise digitale. Et comme pour la musique, il y aura des gagnants et des perdants. Avec toutefois une dimension supplémentaire ici qui tient à la difficulté d’objectiver la magie du cinéma. Si tout le monde admettra qu’écouter un disque chez soi et assister à un concert sont deux choses viscéralement différentes en raison de la présence humaine sur scène, les dispositifs techniques dans une salle de cinéma et dans son salon sont au contraire assez similaires. C’est ce qui explique sans doute pourquoi certains n’ont pas attendu la caution HBO ou le prétexte Netflix pour franchir la ligne rouge. Comme Lynch avec Twin Peaks. Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse… Le renouveau des séries télé amorcé par HBO a accéléré le phénomène de transfuges, le gratin des scénaristes, réalisateurs et acteurs étant tout heureux de retrouver des moyens d’action et une liberté de ton qu’il n’avait plus dans les studios où tout est dicté par des impératifs commerciaux à court terme. Quand on sait que même un Scorsese a dû se rabattre sur la plate-forme américaine pour financer The Irishman, avec Robert De Niro, on comprend que le circuit de distribution standard bat de l’aile.

Et tant pis pour l’amateur de salles obscures qui devra se rabattre sur son écran plat pour voir des films artistiquement ambitieux. Ou tant mieux si l’on se dit que le streaming permet au moins de sauver les meubles du cinéma d’auteur, sachant que le public, qui vous dira la main sur le coeur qu’il faut sauver le cinéma de qualité, ne s’est jamais déplacé en masse pour aller voir les films de ses propres réalisateurs. Pour les salles, reste à espérer que les majors se ressaisissent à temps ou que la technique vienne à la rescousse. Et pourquoi pas en suivant l’exemple d’Iñárritu. Ce qui nous ramène à… Cannes où le réalisateur propose de se glisser dans la peau d’un migrant mexicain à l’aide d’un dispositif de réalité augmentée visiblement bluffant. Un premier pas vers un cinéma immersif, peut-être plus « léger »? Imaginez: on pourrait jouer le rôle de Luke Skywalker. Et c’est à nous que Dark Vador dirait ces mots: « Je suis ton père. »

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