L’Atelier, portrait d’une jeunesse incertaine

Marina Foïs (au centre), en romancière animant un atelier d'écriture avec des jeunes de La Ciotat. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Laurent Cantet invite des adolescents de La Ciotat à écrire un roman noir dans le cadre d’un atelier d’écriture ouvrant sur un lumineux portrait de groupe, en prise sur les incertitudes de la jeunesse. Rencontre.

Il y a, dans la filmographie de Laurent Cantet, une évidente cohérence. Découvert au festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, L’Atelier, son nouvel opus (lire notre critique ), qui met en scène un atelier d’écriture mené avec des jeunes de La Ciotat sous la conduite d’une romancière parisienne, s’intéresse ainsi à la dynamique de groupe. Une thématique déjà présente dans Foxfire, Retour à Ithaque et, bien sûr, Entre les murs, Palme d’or en 2008, et sans doute celui des films antérieurs du réalisateur français dont celui-ci se rapproche le plus. « Ça correspond d’abord à un goût personnel pour le collectif, soupèse l’intéressé, alors qu’on le rencontre sous le cagnard et au son des hélicoptères, à quelques encablures du Palais du festival. Et peut-être aussi à une difficulté à trouver moi-même ma place dans le groupe. Il y a à la fois cette tentation et cette difficulté-là. Et puis, d’un point de vue cinématographique, j’aime beaucoup l’idée de partir de quelque chose qui peut d’abord sembler très documentaire, et où aucun personnage ne préexiste. Et faire progressivement que de ce magma sortent des personnalités que l’on va apprendre à connaître. Cette dynamique de narration me convient bien. »

Comprendre le monde

De quoi, incidemment, nourrir un peu plus encore le parallèle avec Entre les murs. Mais si L’Atelier ressemble, par certains aspects, à un film-miroir de celui-ci, le projet trouve ses origines bien plus loin encore. À savoir à la toute fin des années 90, lorsqu’un reportage de France 3 sur lequel avait travaillé Robin Campillo, son coscénariste d’alors (qui allait devenir le réalisateur de 120 battements par minute, entre autres), attire l’attention de Laurent Cantet sur un atelier d’écriture organisé à La Ciotat, et pétri de la culture ouvrière de la ville, la fermeture du chantier naval annonçant toutefois une mutation radicale. Et d’y voir un possible sujet de film, qu’il laissera toutefois sommeiller avant d’y revenir, 17 ans plus tard. « C’est justement ce changement qui m’intéressait, essayer de voir comment finalement ma grille de lecture d’un vieux de 55 ans pouvait encore être efficace pour tenter de comprendre le monde dans lequel on vit. Et en particulier tout ce qui touche les jeunes gens que je filme. La romancière essaie d’aiguiller le travail d’écriture vers le passé ouvrier, la solidarité, des choses qui ne veulent plus rien dire pour ces jeunes gens qui sont confrontés à un monde beaucoup plus dur et chaotique que celui auquel j’ai pu l’être à leur âge. Et il y avait des questions qui me semblaient importantes à observer rapidement: comment cohabite-t-on entre ces deux générations, ces deux façons d’envisager le monde? Et comment, au sein de chaque groupe, peut-on continuer à vivre, penser, s’amuser ensemble? » Toutes interrogations que permettait de rencontrer idéalement un atelier d’écriture associant des intervenants de toutes origines, et orchestrant un face-à-face entre la romancière (interprétée par Marina Foïs) et les jeunes, l’un d’entre eux, Antoine (Matthieu Lucci), en particulier.

Afin de nourrir le film, le cinéaste a fait appel à des non-professionnels, choisis en amont du tournage, et avec lesquels il a consacré plusieurs semaines aux répétitions, mais aussi à des discussions. Un « atelier » pré-Atelier en somme, permettant d’intégrer leurs réflexions au propos, mais aussi de créer le groupe et d’instaurer une indispensable confiance. Son prolongement à l’écran se révèle, pour sa part, éminemment fécond, cet espace propice à la réflexion commune permettant notamment de mettre des mots sur le mal-être et, partant, de formuler les choses, le travail collectif déteignant sur l’individu avec des effets libérateurs.

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Cette proposition, Laurent Cantet a tenu à l’inscrire dans une réalité précise, consécutive aux attentats du Bataclan et puis de Nice: « Je voulais donner l’ambiance de ce moment qui, à mon avis, est très particulier où, d’un seul coup, on est confronté aux questions très théoriques jusque-là de la peur, de la peur de l’autre, qui existait mais de manière très diffuse. Aujourd’hui, malheureusement, il y a des points de fixation pour toutes ces peurs-là. De la même manière que l’ennui dans lequel ces jeunes gens vivent déclenche une attirance pour les extrémismes de tout bord. Lesquels proposent non pas des solutions, mais un peu de dérèglement dans une espèce de monotonie et d’ennui qu’est devenue la vie de beaucoup de jeunes gens dénués de perspectives. Et qui savent que leur avis ne sera jamais pris en compte, que leur vie leur échappe, et qui n’ont ni les moyens financiers ni peut-être intellectuels de sortir de la ligne tracée pour eux… »

À quoi, sans verser dans l’angélisme ni le prêche un peu vain, L’Atelier apporte une alternative possible, manière encore, une fois hors les murs, de faire fi des clivages de toutes sortes dont s’abreuve désormais le quotidien: « Ce qui se passe en ce moment pousse à une compartimentation de la société, les jeunes face aux vieux, les intellos qui ne comprennent rien au monde et les vrais gens, les cathos contre les musulmans, les Blancs contre les Noirs, et chacun exploite ça pour sa propre chapelle. La montée des extrémismes de tous bords fonctionne beaucoup là-dessus, et c’est ce qui m’effraye dans le monde tel qu’il est. Mais je pense que si l’on crée ce genre de rencontres entre les communautés par exemple, les choses bougent, il y a quelque chose qui va dépasser ce clivage très idéologique… C’est, pour moi, le seul moyen d’en venir à bout. »

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