Ken Loach: « Il faut organiser la riposte face à ceux qui exercent le pouvoir aujourd’hui »

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec I, Daniel Blake, Ken Loach plante sa caméra dans le paysage social dévasté de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, pour dénoncer avec vigueur les errances de l’ultralibéralisme. Palme d’or à Cannes.

A 80 printemps, Ken Loach a toujours le feu sacré. Si le réalisateur britannique avait annoncé vouloir se retirer des affaires au sortir d’un Jimmy’s Hall éreintant -« J’aurais mieux fait de m’abstenir« , sourit-il aujourd’hui- I, Daniel Blake le voit renouer avec le meilleur de son cinéma, signant un film engagé inscrit dans la chair d’une Angleterre dévastée par la crise et les dérives de l’ultralibéralisme. Le cinéaste y épouse la trajectoire de Daniel Blake, menuisier dans une scierie de Newcastle qu’un accident cardiaque contraint à solliciter, à l’approche de la soixantaine, une indemnité d’invalidité. Et de se retrouver en butte à une bureaucratie kafkaïenne, début d’un cauchemar administratif sans issue prévisible au cours duquel il va croiser Katie, mère célibataire de deux enfants expédiée dans un logement à 450 kilomètres de sa ville natale et tentant laborieusement de joindre les deux bouts. Soit une peinture blême de la réalité sociale de la Grande-Bretagne, et un film en forme de cri de colère: « Nous voulions, mon scénariste Paul Laverty et moi, souligner que de telles choses se produisent, commence Loach. Une fois que l’on en a conscience, impossible de rester indifférent. Nous n’avons rien d’anthropologistes s’aventurant en terre inconnue, cela concerne une part importante de la population. Deux à trois millions de personnes ont fait l’objet de sanctions ces dernières années, c’est un phénomène à grande échelle. La colère est entrée en ligne de compte, bien sûr, et elle est largement répandue. Mais nous espérons susciter des discussions pour savoir comment on en est arrivé là, et surtout comment on peut y remédier…  »

A rebours de la résignation

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Vaste programme, auquel le film apporte une esquisse de réponse en maintenant, envers et contre tout, le cap de l’humanité, de la dignité et d’une solidarité recomposée. Sans pour autant se bercer de douces illusions: « La situation est tragique, observe le réalisateur, qui ajoute: Nous aurions pu opter pour des histoires plus horribles encore, impliquant des gens souffrant de handicaps physiques ou des personnes suicidaires. Dans certains bureaux où l’on dispense des aides sociales, ils ont des consignes spécifiques pour ces catégories et n’ignorent pas que des individus vont être poussés au suicide. Mais nous voulions des personnages intelligents et guère susceptibles a priori de se laisser abattre. Daniel a un métier, il connaît ses droits, il a du répondant. Quant à Katie, elle étudie, a des ambitions, ils n’ont rien de victimes toutes désignées. C’était important, afin d’étoffer leur parcours.« Et Daniel et Katie d’évoluer à l’opposé, en quelque sorte, de ce sentiment de résignation qui semble gagner toujours en ampleur, phénomène pour lequel Ken Loach avance une explication: « La classe politique exerce un contrôle fort, avec le soutien de médias écrits et audiovisuels particulièrement dociles, la BBC comme les chaînes commerciales. Quand ils abordent de tels sujets, c’est pour y voir une conséquence nécessaire de la libre entreprise, non sans préciser que ce qui est possible sera entrepris pour améliorer les choses. Quand les informations sont à ce point complaisantes, il est difficile pour les gens qui ne sont impliqués ni dans les campagnes, ni dans la politique, de faire la part des choses et de lutter. La presse populaire a deux cibles privilégiées: les réfugiés et les allocataires sociaux, sur lesquels elle se répand en histoires vicieuses. Il faut commencer par combattre cette tendance… »

Le coeur toujours à gauche

Ce n’est là, toutefois, que l’une des composantes d’un paysage sociétal objectivement dévasté. Et Loach ne se fait faute d’épingler les dérives d’un système au nom d’une loi du marché impitoyable suivant sa logique cynique jusqu’à la nausée, tout en refusant, pour sa part, d’y voir une fatalité. « Le capitalisme monopolistique qui produit cette pauvreté et ce désespoir n’est pas inéluctable à mes yeux, parce que si tel était le cas, ce serait la fin de la planète. Nous savons qu’ils vont détruire la Terre, ils sont déjà en train de le faire. Le réchauffement climatique n’est pas un mythe. Il faut organiser la riposte face à ceux qui exercent le pouvoir aujourd’hui…« Quant à la forme qu’adopterait semblable « révolution », le cinéaste réaffirme une foi dans la gauche que n’ont entamée ni les revers électoraux, ni les compromis la vidant de sa substance. « La gauche reste l’unique solution, parce qu’elle repose sur la propriété commune et sur la planification. Si l’on ne planifie pas l’utilisation des ressources de la planète, on court à sa destruction, parce qu’on va utiliser toutes les énergies fossiles, et les marées vont monter. C’est ce que font les multinationales, qui doivent maximaliser leurs profits, elles n’ont pas d’autre choix (…), elles doivent produire, produire, produire. Le seul moyen d’y mettre un terme, c’est de planifier et de reprendre un certain contrôle sur elles…« 

Reste la question se posant inévitablement à un auteur ayant l’engagement chevillé à la caméra, à savoir celle de l’impact possible d’un film dans un contexte aussi sombre. « Je ne sais pas. Un film n’est jamais qu’une petite voix dans un choeur beaucoup plus puissant. Quand on chante un air différent, cette voix risque de se retrouver noyée. Mais peut-être ce film va-t-il en encourager certains…« Appel entendu par le jury du dernier festival de Cannes qui, en octroyant la Palme d’or à I, Daniel Blake, lui a donné une caisse de résonance sans doute inespérée…

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