Johnny Depp ou le spectre de la « Nicolas Cageisation »

Johnny Depp est Whitey Bulger dans Black Mass de Scott Cooper. © Claire Folger/Warner Bros. Pictures
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Plus insaisissable que jamais, l’acteur renaît devant la caméra de Scott Cooper sous les traits de Whitey Bulger, truand ayant sévi dans le Boston des années 70.

De Pirates of the Caribbean en Mortdecai, on avait fini par désespérer de Johnny Depp: égérie tatouée pour Sauvage de Dior, peut-être, mais acteur de cinéma, plus vraiment. Tout au plus si son compère Tim Burton entretenait, sporadiquement, l’illusion, lui taillant un rôle en pâle reflet de sa splendeur passée à la faveur d’un Dark Shadows, par exemple. Pour le reste, nada dans toutes les langues, ou peu s’en faut -une voix deçà, delà, à l’instar de celle de Rango. C’est dire l’heureuse surprise que constitue aujourd’hui Black Mass, de Scott Cooper (rebaptisé Strictly Criminal en version française, allez comprendre). Méconnaissable sous son crâne dégarni et avec ses Ray-Ban modèle aviateur, Depp y incarne James Whitey Bulger, un caïd ayant sévi dans le Boston des années 70. Mais là où le rôle aurait pu se prêter à une débauche de tics grimaçants, l’acteur retrouve, comme par enchantement, la note juste, une affaire de densité menaçante soigneusement dosée, avec ce qu’il faut encore de lueur indécise dans le regard; le genre, sous ses dehors affables, à pouvoir basculer dans la sauvagerie en un clin d’oeil. Oublié, pour le coup, le numéro de Jack-Sparrow-hommage-à-son-pote-Keith-Richards répété jusqu’à plus soif, sans même parler des innombrables emplois indignes de son talent alignés depuis le début des années 2000, et semblant n’avoir eu d’autre motivation que de garnir son compte en banque. Devant la caméra de Cooper, Johnny vient, l’air de rien, rappeler que bien dirigé, et avec un personnage à défendre plutôt qu’une caricature, il continue à boxer dans la catégorie des meilleurs.

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Une part du mérite de cette renaissance revient assurément à un réalisateur ayant à son actif un Crazy Heart qui devait valoir à Jeff Bridges un Oscar cent fois mérité, mais aussi Out of the Furnace, où il réservait un rôle décoiffant à Christian Bale. A croire qu’il s’agit là d’une sorte de signature, lui qui s’est employé, cette fois, à éloigner Johnny Depp de sa zone de confort, pour le rendre Strictly Criminal, criminel jusqu’à l’os. Le cinéaste ne dit d’ailleurs rien d’autre dans sa note d’intention: « Whitey Bulger n’était pas le moins du monde un personnage aimable; il avait un côté extrêmement vicieux, comme on n’avait jamais vu Johnny Depp en interpréter. » Et de louer le travail de l’acteur: « Il a veillé à en montrer toutes les facettes: sa folie meurtrière, sa malveillance et sa cruauté, mais aussi sa part d’humanité. Cela présentait un danger, parce que nous ne voulions pas être accusés d’avoir humanisé un individu personnifiant le mal. Mais nous montrons aussi sa brutalité sans faux-fuyants. Bulger était un tueur dur comme la pierre, et Johnny joue cet aspect de sa personnalité à fond. Il s’est donné beaucoup de mal pour créer sa performance et, de sa façon de se déplacer au timbre de sa voix, il a réussi à incarner pleinement le sociopathe qu’était Whitey Bulger. » De fait, combiné à une mise en scène millimétrée renouant avec la sève du cinéma américain des années 70, le résultat est tout simplement bluffant. Dans la filmo récente de l’acteur, on ne voit jamais que le Public Enemies de Michael Mann (2009, quand même) pour soutenir la comparaison, et ce n’est sans doute pas un hasard s’il s’agissait, là aussi, d’une histoire de gangsters -Depp y interprétait, pour mémoire, le légendaire John Dillinger.

En voie de « Nicolas Cageisation »

Black Mass vient donc fort opportunément redorer le blason de Depp, un acteur dont on en était venu à oublier qu’il compta parmi les seigneurs de sa génération, et pas seulement en vertu d’une belle gueule qui devait faire des ravages dans la série 21 Jump Street. Cry-Baby, de John Waters, Edward Scissorhands, de Tim Burton, Arizona Dream, d’Emir Kusturica, What’s Eating Gilbert Grape, de Lasse Hallström, Ed Wood, de Burton à nouveau, Dead Man, de Jim Jarmusch, et jusqu’au Fear and Loathing in Las Vegas, de Terry Gilliam: alliant audace et intensité, ses années 90 ressemblent à un parcours de rêve, qui viendra se fracasser sur ses aspirations de metteur en scène. Johnny Depp réalise The Brave en 1997, et c’est peu dire que le film se plante dans les grandes largeurs. Le comédien y a pour partenaire l’immense Marlon Brando, déjà côtoyé dans le léger Don Juan DeMarco. Un Brando dont l’étoile avait toutefois bien pâli lui qui, à l’époque, se commettait dans l’inepte Christopher Columbus: The Discovery quand il ne vampirisait pas un remake dispensable de The Island of Dr. Moreau; à se demander si, par un curieux effet de contamination, il n’aurait pas appris à Depp comment saloper une carrière. Ce qui se traduira par un chapelet de films oubliables, les The Astronaut’s Wife, Chocolat, Once Upon a Time in Mexico, The Turist, The Lone Ranger ou autre Transcendence qui, en dehors de ses retrouvailles régulières avec l’ami Burton, deviendront son ordinaire entre deux épisodes de Pirates. Soit, pour le dire simplement, un beau gâchis, au point de voir se profiler le spectre de la « Nicolas Cageisation ».

On n’en est pas encore là toutefois et, à 52 ans bien frappés, voilà Johnny Depp joliment relancé, tel le phoenix renaissant de ses cendres. On se gardera pour autant de tirer, déjà, des conclusions définitives. A cet égard, la consultation de sa page IMDb ne manque d’ailleurs pas de laisser perplexe qui, aux côtés de deux franchises sans risques -une suite au Alice in Wonderland, de Tim Burton, confiée cette fois à James The Muppets Bobin, et une énième aventure de Jack Sparrow, ben tiens (des problèmes financiers, vraiment, Johnny?)-, l’annonce dans un improbable Gnomeo & Juliet où il prêtera sa voix à… Sherlock Gnomes. Ce type reste décidément une énigme…

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