Jeune femme, errance solitaire dans Paris

Laetitia Dosch est Paula, jeune femme à la fois plombée et excentrique, sombre et solaire. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Pour son premier long métrage, Caméra d’or au dernier festival de Cannes, la Française Léonor Serraille esquisse un portrait de femme fragile en forme d’errance dans Paris. Comme un solo de jazz libre à travers la ville.

« Je suis lessivée. Je vais essayer de ne pas raconter n’importe quoi… Tout ça va tellement vite. C’est fou. » Cannes 2017, huitième jour. Les paupières sont lourdes, les jambes cotonneuses et les neurones en ébullition. Elle ne le sait pas encore mais plus que trois fois dormir et Léonor Serraille, 31 ans à peine, arpentera la Croisette la prestigieuse Caméra d’or, récompensant le meilleur premier film du festival, sous le bras. « Jeune femme était mon scénario de fin d’études à la Fémis, en fait. J’avais envie de revivre à travers celui-ci des choses que j’avais connues à Paris et que je trouvais difficiles. J’y suis arrivée à l’âge de 18 ans et j’ai trouvé ça hyper violent, notamment dans le milieu du travail, celui des petits boulots. Mais je voulais cette fois m’y confronter à travers un personnage très différent de moi, beaucoup plus rentre-dedans. Parce que j’étais trop timide, introvertie, je n’arrivais pas à aller vers les gens, et je l’ai regretté très fort. Paula est pleine de fantaisie, d’imagination. Elle est très franche aussi. Et je trouve ça courageux. »

Franche, courageuse, mais aussi singulièrement déconnectée de certaines réalités. De retour à Paname après une longue période d’absence et une rupture qui la laisse déboussolée, Paula, jeune adulte aux perspectives précaires, y enquille en effet les rencontres en méconnaissance plus ou moins consciente des codes en vigueur. « Oui, elle est un peu naïve. C’est une touriste de la vie, poursuit la réalisatrice. Ce qui signifie qu’elle est aussi davantage dans l’instant que les autres. Elle a une façon de parler qui n’appartient qu’à elle, qui ne dépend pas des attentes qu’on peut avoir d’elle. Et puis elle est seule, rejetée, elle n’a plus rien. Donc tout est possible, tout est à inventer. Et c’est ce qu’elle fait, elle devient performeuse de sa propre vie. Elle essaie des choses. C’est presque un instinct de survie. Elle est comme un petit animal qui cherche sa place. »

Soit l’occasion aussi, pour Léonor Serraille, d’interroger l’idée même de norme. « Tout à fait. Est-ce qu’elle est bizarre ou est-ce qu’elle regarde les choses plus en face que les autres? Paula commence à travailler dans un bar à culottes. C’est quelque chose qui la répugne au début mais finalement elle y trouve du plaisir. Elle y côtoie d’autres jeunes femmes, y prend confiance en elle. Les gens pensent souvent: « Comment peut-on être caissière? Quel métier horrible! » Moi j’ai envie de dire: mais heureusement qu’il ne faut pas avoir un métier incroyable pour apprécier la vie, heureusement qu’il y a de belles personnes partout. Paula ne se dirige pas vers un destin incroyable, elle cherche simplement l’endroit où elle va être bien. C’est une paumée mais c’est une héroïne quand même. Une héroïne de sa propre existence. »

Jeune femme, errance solitaire dans Paris

La vie, la vraie

Dans le rôle de Paula, Laetitia Dosch, bouille d’oiseau tombé du nid mais présence virevoltante, vue notamment dans La Bataille de Solférino de Justine Triet, est de tous les plans du film. « Il y a très peu d’improvisation dans Jeune femme. Donc j’avais besoin d’une comédienne qui aurait envie de travailler du texte mais qui aurait en même temps une force, une énergie, une générosité. Laetitia ne s’arrête jamais, elle a plein de visages. La première fois que l’on s’est rencontrées, bizarrement, elle m’a beaucoup fait penser à Patrick Dewaere. Un Patrick Dewaere au féminin. C’est-à-dire avec une fougue, un panache, et en même temps des espèces de trous noirs, comme si tout pouvait s’effondrer en un instant. Ça m’a émue. Sur le tournage, on utilisait des repères de cinéma pour se comprendre. Il y avait Gena Rowlands chez Cassavetes. Frances Ha de Noah Baumbach. Sue perdue dans Manhattan d’Amos Kollek aussi beaucoup, mais la fin de Sue me dévaste, l’idée c’était donc d’en proposer une sorte de versant ascendant. »

Cinéphilie référentielle allant jusqu’à Mirage de la vie, le flamboyant mélo fifties de Douglas Sirk, cité le temps d’un bref extrait télévisé. « En version originale, le film de Sirk s’appelle Imitation of Life. C’est une façon de dire que Paula ne peut pas se contenter de vivre une imitation de sa vie. Elle doit trouver sa vie. »

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