Laurent Raphaël

« Il y a plus inconnu que le soldat inconnu: sa femme »

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Pas contentes de leur sort, les actrices de Hollywood Boulevard! Et elles profitent de la moindre occasion pour mettre les escarpins dans le plat du machisme ambiant.

En 2014, c’est à la tribune de l’ONU que l’ex-Hermione Emma Watson enfilait sa cape de néo-militante féministe pour soutenir HeForShe, une campagne de solidarité pour l’égalité des sexes initiée par l’organisation. Quelques mois plus tard, c’était au tour de Patricia Arquette de pousser une gueulante au moment de recevoir son Oscar (meilleur second rôle pour Boyhood) dans un discours réclamant des rémunérations identiques pour les femmes et les hommes qui a dû faire transpirer les gros bonnets, majoritairement mâles et Blancs évidemment, présents au Dolby Theatre.

Profitant de leur (sur)exposition médiatique, ces héritières inattendues de Simone de Beauvoir remettent sur le tapis les questions sexistes qui fâchent, reprenant même à leur compte un vocabulaire politique qu’on croyait rangé au rayon des souvenirs. Ainsi de Robin Wright, dont la carrière vient de prendre un nouvel envol après sa prestation impeccable dans la série House of Cards, qui appelait récemment de ses voeux une « Che Guevara féminine » parce que « nous avons besoin d’une révolution. Nous en avons vraiment besoin »… D’autres comme Maggie Gyllenhaal, Halle Berry, Keira Knightley ou Kristen Stewart ont entonné le même refrain ces derniers mois, tantôt pour regretter l’absence de femmes à des postes clés de l’industrie, tantôt pour dénoncer la tyrannie de l’âge qui veut qu’une actrice qui a dépassé la trentaine peut faire une croix sur les rôles sexy, ce que l’actrice Helen Mirren trouve « fucking outrageous » comme le rapportait le magazine digital Slate. Et pas plus tard que la semaine dernière, Emma Watson -encore elle- en remettait une couche en ces termes: « J’ai été dirigée 17 fois par des hommes et seulement deux fois par des femmes. Parmi les producteurs avec lesquels j’ai travaillé, treize étaient des hommes contre une seule femme. Les hommes au sommet trouvent difficile de s’identifier aux problèmes des femmes. Et, par conséquent, nous ne sommes pas prises au sérieux. »

Les actrices hollywoodiennes profitent de la moindre occasion pour mettre les escarpins dans le plat du machisme ambiant.

Cette soudaine poussée de fièvre a de quoi surprendre. Vu à travers le prisme -certes déformant- du petit et du grand écran, mâtiné d’une forme de relâchement des moeurs inséminé par le chambardement numérique, on avait plutôt l’impression que les femmes se voyaient confier de plus en plus souvent des rôles complexes, plus proches de leurs préoccupations, loin en tout cas de la potiche de service ou du faire-valoir sexuel du héros. Ou si elles devaient en prendre les atours, c’était pour mieux dénoncer l’hypocrisie de la société, sa misogynie crasse, comme dans Much Loved de Nabil Ayouch (lire la critique dans le Focus du 9 octobre). La sortie prochainement de Suffragette, avec Carey Mulligan, Meryl Streep, etc. entérinait cette idée que la lutte féministe pouvait même trouver grâce aux yeux de producteurs. On a même vu se multiplier ces derniers temps des personnages féminins durs, aux traits acérés, rugueux, laissant accroire l’hypothèse que la révolution passe aussi par l’assimilation des codes d’en face, sentiment perceptible depuis Millenium. Dans le dernier Mad Max par exemple, Charlize Theron en remontre à Tom Hardy en matière de force, de courage, de bravoure, qualités longtemps réservées au mâle alpha. Même fondu-enchaîné dans le registre plus subtil du thriller poisseux avec la saison 2 de True Detective, Rachel McAdams donnant le change dans tous les compartiments de jeu, de l’action au mal-être profond, à ses deux acolytes masculins. Avec à la clé une féminité rabotée et des airs androgynes qui ne sont pas sans rappeler là aussi le « modèle » Lisbeth Salander.

A croire que les séries plus réalistes et moins formatées de HBO puis de Netflix ont brouillé les cartes, tout comme l’avait déjà fait avant eux le cinéma d’auteur, plus prompt à embrasser le regard féminin. On en oublierait que le bulldozer Hollywood, comme une bonne partie du monde avec lui, reste accroché à ses privilèges et ses stéréotypes -à quand un film consacré uniquement à Black Widow, la super-héroïne qui n’a droit qu’à un strapontin dans Avengers?, s’interrogeait Jessica Chastain.

« Il y a plus inconnu que le soldat inconnu: sa femme », pouvait-on lire sur les pancartes dans les manifs en 1970. Elle a gagné le droit d’être elle aussi un soldat, reste à reconnaître ses mérites…

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