Laurent Raphaël

Édito: Écran de fumée

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Après le Hollande bashing, place au Deneuve bashing. Depuis le début du festival de Cannes, l’actrice française s’en prend plein le lifting.

Le feu couvait déjà avant la sauterie à la gloire du 7e art au gré de ses petites phrases savoureuses et à rebrousse-poil sur le narcissisme compulsif -« Je déteste les selfies, se photographier tout le temps, se parler via FaceTime, c’est d’un ridicule…« – ou sur les effets de la peopolisation -« La star est une notion qui ne correspond plus du tout, pas seulement à l’époque, mais à la médiatisation de tout, avec les excès de tout. Tout le monde est une star, donc personne n’est une star.« -, mais ce sont surtout ses déclarations sur Dunkerque, où elle a tourné La Tête haute, le film d’Emmanuelle Bercot projeté en ouverture cette année, qui ont mis le feu aux poudres numériques. Une ville « triste » où il n’y a que « l’alcool et les cigarettes qui marchent« , a estimé l’icône du cinoche après y avoir déprimé quelques semaines.

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Piqué au vif, le Nord s’est mobilisé pour défendre son coin de grisaille et vanter à coup d’Instagram léchés les charmes discrets d’une cité qui, à défaut de Louvre ou de Tour Eiffel, a le sens de la fête. Cet incident derrière lequel certains voient la manifestation d’une arrogance parisienne ou d’un effet collatéral de l’âge, entre aigreur et snobisme, illustre surtout l’hypocrisie crasse d’une époque qui veut tout et son contraire.

Les mêmes qui admirent l’ex-Belle de jour et son parcours sans faute lui reprochent sa franchise quand elle parle sans langue de bois et qu’elle a le malheur d’écorner un coin de la carte postale. On voudrait qu’elle continue à affirmer son tempérament, à se mettre en danger artistiquement parlant, voire à flirter avec le militantisme à travers ses films (ce qu’elle fait d’ailleurs dans La Tête haute où elle incarne une juge pour enfant simple et intègre), et en même temps qu’elle dilue son caractère dans le potage tiède du compromis, qu’elle ne froisse personne, qu’elle ne fasse surtout pas de vagues, bref qu’elle joue les figurants dans la réalité. Cherchez l’erreur! Comme si l’artiste devait s’effacer devant la realpolitik dictée par l’image promotionnelle et les enjeux financiers. Etre une battante à l’écran, une carpette dans la vie de tous les jours.

On se trouve au coeur de l’absurdité qui gangrène notre système et le fait marcher sur la tête. Tout ce qui sort un individu du lot est valorisé par les fabricants institutionnels d’images symboliques, comme la publicité, les médias et une partie de la culture. Ces héros extra-ordinaires infusent l’inconscient collectif. Mais paradoxalement, la subversion qui échapperait au contrôle et ne serait pas réductible à un slogan marketing bien huilé assimilable par tous est perçue comme un dangereux grain de sable dans la machine à consommer.

Ce genre d’injonctions contradictoires, on les retrouve également dans le monde de l’entreprise. « Soyez créatifs!« , enjoint-on aux employés en citant Steve Jobs ou Mark Zuckerberg. Et simultanément on les assomme de consignes qui disent exactement le contraire: « Réduisez les coûts mais développez votre business« , « managez votre équipe mais faites votre chiffre« . Cette double contrainte, quand elle ne conduit pas directement au burnout, accouche soit de petits chefs frustrés, soit d’électrons libres vite recadrés ou sacrifiés.

Le même esprit de contradiction conduit la chaîne Fox à flouter les seins des Femmes d’Alger de Picasso, qui est l’un des bien les plus chers au monde (178 millions de dollars), et à ce titre une sorte de graal libéral. D’une main on condamne donc moralement ce qu’on encense de l’autre. Bonjour la schizophrénie! On a enfermé des gens pour moins que ça!

Quant à la reine Catherine, je lui tire mon chapeau. Deneuve, c’est quand même Bardot qui a bien tourné. Tant qu’elle continue à faire de bons films avec Ozon ou Jacquot ou Téchiné, elle peut persifler autant qu’elle veut sur Roubaix, La Louvière ou Bruxelles. Du moment que sur l’écran elle joue juste et fort.

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