Laurent Raphaël

Édito: Bis repetita

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Plus aucun mouvement artistique majeur n’a émergé du brouillard depuis le hip hop. C’était il y a 30 ans. Depuis, on réchauffe les plats (parfois meilleurs le lendemain il est vrai), mais à force de se répéter, on va se lasser.

C’est en revoyant la semaine dernière Groundhog Day qu’on s’est demandé si on n’était pas tous des Phil Connors revivant chaque matin le scénario de la veille, à cette nuance de taille près que nous on n’y verrait que du feu. Pour rappel, dans le film de Harold Ramis -qui date de 1993 et accuse son âge avec son esthétique passablement ringarde-, Bill Murray incarne un présentateur météo prétentieux et aigri d’une télé régionale de Pittsburgh envoyé en reportage dans un bled pour couvrir les festivités de la Journée de la marmotte. Coincé sur place à cause d’un blizzard, il se réveille le lendemain à six heures tapantes au son de la scie I get you babe de Sonny & Cher et se retape exactement les mêmes événements et commentaires que 24 heures plus tôt. Pareil le lendemain et ainsi de suite. Une légère anomalie dont il est le seul à s’apercevoir. Traité sur le ton de la comédie romantique (Bill Murray profite de la boucle temporelle pour affiner sa tactique de séduction auprès de la productrice Andie MacDowell), cette fable apparaît 20 ans plus tard comme une métaphore visionnaire de notre époque rétromaniaque.

Des preuves? Il suffit de humer l’air pour être envahi par cette impression de déjà-vu, déjà-entendu, déjà-lu. Si on vous dit Twin Peaks, Corto Maltese, Edward Hopper, La Belle au bois dormant, Blake et Mortimer, logiquement vous répondez dans l’ordre années 90, années 60-70, première moitié du XXe siècle, 1959 (pour la version Disney du conte) et années 50-60. Eh bien non. Ce sont bien des « nouveautés » des années 2010! David Lynch ressuscitera l’an prochain sa série matricielle, tout comme le héros solitaire de Hugo Pratt sera exhumé en 2015 du cimetière marin par le pouvoir graphique du tandem Canales-Pellejero. Pas plus que le père Jacobs, le plus américain des peintres n’est pourtant encore de ce monde, ce qui n’empêche pas son oeuvre de revivre, au sens littéral, dans un film hommage, Shirley: Visions of Reality. Même effet d’écho pour le célèbre conte de Perrault, remis au goût crépusculaire du jour avec Maleficent qui adopte cette fois le point de vue de la sorcière.

Pour un peu, Hibernatus serait du0026#xE9;congelu0026#xE9; aujourd’hui qu’il ne serait mu0026#xEA;me pas du0026#xE9;paysu0026#xE9;…

Signe qu’on n’a pas affaire à un épiphénomène de nostalgiques gâteux, la deuxième place du palmarès des meilleures ventes de BD en 2013 était occupée par les deux aventuriers sortis de la naphtaline, juste derrière… Astérix, un autre revenant. Et on pourrait encore citer 21 Jump Street (le film inspiré de la série) ou les camions d’albums de reprises (dernier en date: Annie Lennox qui retape sur le clou usé des classiques soul). Sans même parler des super-héros qui n’ont jamais vraiment quitté la scène depuis 75 ans et la création coup sur coup de DC Comics et de Marvel. Pour un peu, Hibernatus serait décongelé aujourd’hui qu’il ne serait même pas dépaysé…

Sournois, le bégaiement de l’Histoire, musicale notamment, avance parfois masqué. Mais si le récipient se pare d’habits neufs et fringants, le jus vintage qu’il contient copie à la note près la formule originale des années 50 -et plus si affinités-, de Allah-Las et sa pop psyché sixties à Kris Dane et son americana plus roots que nature. A croire que le disque de la sono mondiale est rayé.

Au-delà de l’effet doudou ou de la madeleine trempée dans le thé postmoderne souvent avancés pour expliquer ce patinage artistique, on peut se demander si ces cas de récidives ne sont pas plutôt les symptômes d’une anémie chronique. Qui se traduit par un manque de tonus créatif camouflé par ce recyclage à grande échelle. Ce qui expliquerait pourquoi plus aucun mouvement artistique majeur n’a émergé du brouillard depuis le hip hop. C’était il y a 30 ans. Depuis, on réchauffe les plats (parfois meilleurs le lendemain il est vrai), mais à force de se répéter, on va se lasser. Il faudra bien inventer autre chose pour couper le ruban de Möbius qui sert aujourd’hui de modèle. À moins bien sûr que le chaos ne soit au bout de la route, avec derrière la promesse d’un renouveau. On vous tient au courant…

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