Doublage et sous-titrage, votre univers impitoyable

Au studio d'enregistrement Rec'N'Roll, le directeur artistique Daniel Nicodème dirige le doublage français de la série Dead Beat. © Reyners
Antoinette Reyners Stagiaire

À l’heure de Netflix, du piratage et des fan subs, quatre acteurs du doublage et du sous-titrage témoignent de leurs conditions de travail, de plus en plus pesantes dans un monde toujours plus mercantile.

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Rosalia Cuevas est directrice artistique depuis 15 ans. Cela fait 5 ans qu’elle dirige le doublage français de la célèbre série canadienne Orphan Black pour le service de streaming Netflix. À deux pas de Reyers, dans un studio du Rec’N’Roll, au coeur de l’obscurité, elle dirige sans perdre une seconde le travail de deux comédiennes et d’un ingénieur du son. Projetés sur un grand écran blanc, les dialogues défilent sous les images animées. À chaque erreur de ton, d’humeur ou d’imprécision du jeu de la comédienne, la directrice artistique demande la version originale pour concorder avec les personnages et l’histoire. Quand on lui demande combien de temps elle dispose pour l’enregistrement du doublage d’un épisode, son ingénieur son lui prend la parole en souriant: « Jamais assez« . « Le temps est limité par l’argent qu’on nous donne« , survient la directrice artistique. Au total, ils ont un jour et demi pour doubler 45 minutes d’épisode.« Le problème c’est que le prix pour la série n’augmente pas alors que notre travail coûte toujours plus cher« , intervient Emmanuel Maindiaux, producteur de doublage au studio d’enregistrement Nice Fellow, à Paris. « On nous demande une qualité supérieure pour un coût inférieur« , résume Rosalia Cuevas. « De plus, ce n’est pas toujours évident de s’adapter aux exigences de la série« , ajoute-t-elle rapidement pendant que l’ingénieur son change de boucle. Pour Orphan Black, la comédienne Audrey D’Hulstere a ainsi du jongler au total avec 12 personnages sur l’ensemble des 4 saisons. Dans la bande annonce ci-dessous, on entend la voix du personnage Sarah Manning incarnée par la comédienne Audrey D’Hulstere. « Comme l’actrice dans la série qui se transforme en différents clones, reprend la D.A., on essaie de garder une cohérence. Audrey a ainsi déjà dû jouer le rôle d’un homme pour la série.« 

Daniel Nicodème est le premier directeur artistique de Belgique. Cela fait 25 ans qu’il fait de sa passion son métier. Il a actuellement 12 jours pour enregistrer le doublage français de la saison 3 de Dead Beat, une série humoristique et fantastique américaine, à la demande de France 4.

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Il a donc moins d’une journée pour enregistrer le doublage d’un épisode de 23 minutes, la série comptant au total 13 épisodes. « C’est finalement un délai assez large. Aujourd’hui, c’est cool, on a pris de l’avance par rapport au timing« , se satisfait-il en saluant et remerciant le doubleur, Philippe Allard. Mais cela n’empêche que ces situations restent rares. Pour Daniel Nicodème, les pressions exercées par les diffuseurs sont terribles.

Le directeur artistique Daniel Nicodème et le comédien Philippe Allard écoutent la version originale en anglais de la série Dead Beat.
Le directeur artistique Daniel Nicodème et le comédien Philippe Allard écoutent la version originale en anglais de la série Dead Beat.© Reyners

Les diffuseurs sont beaucoup plus exigeants qu’auparavant. Ce qui rend son travail plus dense avec moins de repos. Les délais sont plus rapides et parfois sans raison. « Je me souviens d’un film qu’on a du doubler à vitesse grand V. C’était presque impossible. Netflix nous mettait la pression. Le film est finalement sorti des mois plus tard…« , se rappelle-t-il. « Ils veulent avoir le plus d’heures d’émissions possibles à tout prix. » Pour ce comédien, le problème principal, c’est Internet: « On vise un public de mômes qui veut tout voir avant tout le monde. C’est vraiment dangereux pour notre métier car ça nous oblige à accélérer notre travail.« 

Le comédien Philippe Allard double la voix du personnage principal Kévin Pacalioglu dans la série Dead Beat.
Le comédien Philippe Allard double la voix du personnage principal Kévin Pacalioglu dans la série Dead Beat.© Reyners

« Un métier artistique dont le monde n’est pas artistique »

Du choix de l’adaptateur (le traducteur qui rédige les sous-titres) au directeur artistique, le producteur Emmanuel Maindiaux dirige l’ensemble des étapes du doublage. Il prend en charge le doublage français de séries américaines comme Arrow ou Dead Beat ou dans un tout autre style, la série italienne Gomorra. Pour ce Bruxellois passionné, le constat est évident: « On est confronté à un monde du commerce de plus en plus mercantile. » Pour appuyer son propos, il compare la production télévisuelle à la production de doublage. « La production de contenus télévisuels est évidemment confronté à l’argent car c’est le nerf de la guerre, mais l’aspect culturel ou artistique de l’oeuvre est préservé puisque c’est une volonté du producteur et du réalisateur et l’argent sert à ça« , explique-t-il. « Notre profession à nous n’est pas un métier de production mais de distribution, c’est-à-dire de vente et d’achat de programmes. On est tous les jours confrontés à des vendeurs, comme des vendeurs d’automobiles« , déplore-t-il. « On doit se donner l’illusion qu’on va pouvoir préserver notre travail artistique mais justement, ce que nous souhaitons préserver ne fait pas partie du deal de départ.« 

« C’est totalement un métier artistique dont le monde n’est pas artistique« , résume-t-il en une phrase. « Pour nous, il n’y a pas de challenge de réussite derrière, pas comme les productions artistiques. Dans le doublage, on fabrique, c’est diffusé et c’est tout« , constate-t-il. Selon lui, certes, ce monde commercial est de plus en plus exigeant et difficile mais des séries comme Gomorra ou The Same Sky permettent à l’inverse de préserver ce côté culturel essentiel. Cet avis est partagé par Daniel Nicodème: « Si ce n’était pas artistique, j’arrêterais. Je ne suis pas là pour faire du Fast Food, non merci! » À ses yeux, il y a une volonté artistique malgré tout. Il pense notamment aux chaines comme Arte ou Canal qui essaient de protéger cet aspect majeur. « On le retrouve dans la série Dead Beat aussi. À côté de l’humour trash new-yorkais, il y a un côté plus émotionnel, plus émouvant. Les personnages sont complexes comme le ton de jeu. J’essaie de faire passer le plus possible ce que j’ai ressenti dans la version originale en français« , soutient-il.

La loi du plus fort selon Netflix

Dans un monde toujours plus commercial, le nouveau test de recrutement de traducteurs lancé par Netflix n’étonne pas. Cette nouvelle plateforme en ligne s’appelle Hermès. D’une durée de 90 minutes et décliné en 5 étapes, ce test prétend savoir vérifier la qualité des sous-titres que les internautes proposent.

Pour réaliser le test en ligne, vous devez d'abord partager votre numéro de téléphone. Vous recevrez ensuite un code par sms.
Pour réaliser le test en ligne, vous devez d’abord partager votre numéro de téléphone. Vous recevrez ensuite un code par sms. © Netflix

« Cette décision reste perturbante, voire presque insultante pour les traducteurs qui travaillent encore pour eux maintenant« , regrette Emmanuel Maindiaux. Selon le producteur, dans le métier du sous-titrage, il y a un tel volume à gérer, une telle guerre commerciale autour de cette quantité, qu’on retrouve tout et n’importe quoi. Pour lui, cette plateforme renforce clairement une certaine uberisation du travail. « Sous couvert d’améliorer la qualité de leurs sous-titres, ils veulent supprimer les intermédiaires. Certes, ces acteurs leur coûtent un prix mais ils permettent surtout de garantir un travail de qualité », explique-t-il. « Je ne vois pas comment un logiciel peut assurer la qualité car c‘est tout le rôle du traducteur et d’un bon traducteur« , insiste le directeur de l’exploitation. « C’est avant tout un objectif d’économie car ils sont parmi les plus importants du marché. C’est la loi du plus fort et c’est très dangereux« , met-il en garde.

Valérie Steinier-Vanderstraeten est à la tête d’une société audiovisuelle de traduction, Virtual Words. Elle comprend la demande mais elle n’y adhère pas pour autant. Pour cette belgo-américaine, ce test pose question car ce n’est pas parce que la personne est bilingue qu’elle est forcément traductrice et ce n’est pas parce qu’elle est traductrice, qu’elle est sous-titreuse. « Le sous-titrage semble facile mais c’est beaucoup plus compliqué que ce que l’on pense. C’est cinq ans d’étude à l’université quand même« , réajuste-t-elle. « Si Netflix veut de la qualité, il doit mettre le prix. C’est comme dans tout. On peut se procurer une Rolls pour le prix d’une deux chevaux mais combien de temps elle va tenir, c’est la question« , s’interroge la PDG de Virtual Words. Sur la grille tarifaire publiée par Netflix, on observe que le traducteur touche 11 euros par minute pour la traduction de l’audio en anglais vers le script français. « Après plusieurs recherches, on réalise que le traducteur ne va pas gagner 11 euros. Les 3 étapes de repérage, de relecture et de simulation (visionner les sous-titres avec le film) ne sont pas comptées dans le prix alors qu’elles demandent du temps et ont donc un coût. » Un coût plus que symbolique…

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