Dossier: Toujours aussi sexiste, la musique?

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Une zone réservée aux filles? C’est ce qu’a testé le dernier festival de Glastonbury, en Angleterre. Le débat n’a évidemment pas manqué, entre ceux qui dénoncent le sexisme inversé et les partisans d’un îlot protecteur féminin dans un milieu musical toujours aussi violemment misogyne.

Glastonbury, fin juin. A l’occasion de sa 34e édition, le mégafestival anglais a fait à nouveau le plein. Tous les ingrédients classiques étaient réunis: le public (135.000 personnes), le crachin so english, la boue qui va avec, et une pluie de stars -de Coldplay à Adele en passant par LCD Soundsystem, Beck…- réparties sur 27 zones différentes, et quelque 80 scènes, couvrant plus de 400 hectares. Mais ce n’est pas tout. Cette année, pour la première fois, Glastonbury avait prévu une zone réservée uniquement aux femmes -ainsi qu’aux transsexuels, queer, et toutes autres personnes « s’identifiant comme femme ». Baptisé Sisterhood, ce coin du festival ne manqua pas de susciter le débat: jusqu’à quel point le procédé ne tient-il pas du sexisme inversé? Le féminisme est-il condamné au repli sur soi? Une semaine à peine après l’assassinat de Jo Cox, certains soulignèrent même à quel point le slogan rassembleur de la députée britannique –« we have more in common »– tombait tout à coup à plat. Cela n’empêcha pas une cérémonie d’hommage à l’élue travailliste, sous la forme d’une marche à travers le site de Glastonbury jusqu’à l’espace Sisterhood. Paradoxal? Les organisatrices de Sisterhood se défendront dans un communiqué expliquant que « les espaces uniquement féminins sont nécessaires dans un monde qui reste principalement mené par, et conçu pour, les hommes ».

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Il faut dire que Sisterhood intervient dans un contexte où les cas de harcèlement et de violences sexuels semblent en augmentation dans les festivals britanniques -au point de voir le sujet se retrouver en couverture de l’édition anglaise du Cosmopolitan (« The sex crime scandal no one will talk about »). L’an dernier, par exemple, au moins trois cas de viol furent répertoriés, rien qu’à Glastonbury. Dans la foulée, l’organisation White Ribbon (Ruban blanc), qui milite contre les violences envers les femmes, lança même une pétition spécialement destinée aux festivals et organisateurs de concerts. L’idée derrière Sisterhood est d’ailleurs claire: il s’agit au moins autant de proposer un lieu d’échanges et de rassemblement qu’un endroit « safe », libéré de toutes les tensions (voire plus), provoquées par la populace masculine…

En réalité, Sisterhood n’est pas une première dans le genre. En Amérique, si le Michigan Womyn’s Music Festival a vécu sa dernière édition en 2015, il a proposé pendant 40 ans un festival pour les femmes, par les femmes. A la fin des années 90, le Lilith Fair a également marqué les esprits. S’il ne fermait pas l’accès aux hommes, son affiche était entièrement féminine. Plus proche, le Female Metal Event, aux Pays-Bas, proposera en septembre prochain une programmation uniquement constituée de groupes menés par des filles. En juin dernier, c’est le festival américain Electric Forest qui mettait lui au point une programmation baptisée Her Forest, destinée spécialement aux femmes. Dans la foulée, l’événement a même prévu un camping réservé aux « personnes s’identifiant comme femmes ». Interrogée par Vice, la directrice de la communication du festival a tenu à préciser: « L’initiative est née moins de considérations sur la sécurité que de l’envie de proposer des opportunités de connexion et d’inspiration »

Le Net, défouloir sexiste

Le sexisme n’est toutefois pas réservé qu’aux festivals et lieux publics. Les portes de Sisterhood à peine refermées, c’est un autre incident qui a agité la sphère musicale, du côté des clubs et des musiques électroniques cette fois. Invitée à se produire à la Boiler Room (les fameuses sessions DJ diffusées en direct sur le Net), la productrice écossaise Nightwave a dû en effet subir une déferlante de commentaires injurieux. En cause, non pas tant ses capacités à manipuler les platines, que sa qualité de femme… Macho, le milieu électro? En avril déjà, certains avaient tiqué quand le magazine DJ Mag avait fêté ses 25 ans avec une couverture présentant les pionniers de la dance music, sans y inclure une seule femme

Cela étant dit, bien plus que le sexisme d’un genre en particulier, ce qui est en cause dans « l’affaire » Nightwave, ce sont plutôt les dérives du Net, servant de refuge aux remarques les plus misogynes. Sur son site, Boiler Room a réagi en insistant sur le fait que « La misogynie, la transphobie, le racisme et toutes autres attaques personnelles sont 10000% inacceptables« . Sur Twitter, l’organisation avait même lancé un sondage: « Pourquoi ressentez-vous le désir profond de dire du mal des DJ’s femmes sur les forums?: a) vous vous êtes récemment fait larguer? b) vous vous sentez un vrai mec en faisant ça? c) vous croyez en une conspiration anti-mâles? d) vous êtes juste un loser? » La Boiler Room devait malgré tout admettre: « Nous ne pouvons pas exister sans l’Internet et (malheureusement) l’Internet ne semble pas pouvoir exister sans de lâches abrutis. »

C’était à peu près ce que glissait déjà la chanteuse du groupe électropop écossais Chvrches, il y a deux ans d’ici. Dans une tribune publiée dans le Guardian, elle dénonçait les insultes à caractère misogyne, parfois extrêmement violentes (menaces de viol, etc), qu’elle devait régulièrement encaisser. « Je fais partie d’un groupe qui est né avec le Net (…). Je suis incroyablement chanceuse de pouvoir faire ce métier -et consciente du fait que je ne pourrais pas vivre de la musique sans l’intérêt que les gens lui portent sur le Net. Mais cela signifie-t-il que je dois accepter de tolérer de tels commentaires? »…

Women united

Au-delà du défouloir sexiste que représente le Net, une autre question reste cependant régulièrement posée. A côté des discours féministes repris aujourd’hui par des stars aussi énormes que Beyoncé, l’industrie musicale est-elle suffisamment sensible à la cause? C’est que le milieu passe toujours pour macho. Ou en tout cas essentiellement masculin, à presque tous les niveaux -y compris celui de la presse musicale, « un vrai club de garçons« , relevait Björk récemment. L’an dernier, l’Islandaise précisait qu’en tant que fille, elle avait dû toujours batailler trois fois plus pour imposer ses idées. L’industrie musicale ou le sexisme branché, titrait encore le magazine Slate en début d’année… Y était notamment relevé l’énorme « succès » du tweet de Jessica Hopper, ex-critique du webzine Pitchfork, qui avait lancé sur le réseau social un appel à témoignages aux femmes victimes de sexisme dans l’industrie du disque…

Au printemps dernier, c’est le magazine belge Alphabeta qui a mené une enquête sur la place des femmes dans les métiers de la culture, auprès de quelque 150 professionnels du secteur. Débattu lors de la dernière Ladyfest, à Bruxelles, le sondage a notamment livré le constat que les femmes sont surreprésentées dans les métiers de communication et promotion, tandis que les hommes se chargent davantage des fonctions techniques. Clichés? Les filles sont les premières à dire que les jobs dans la culture sont « genrés »: 55% d’entre elles pensent qu’il existe des métiers masculins (contre 25% d’hommes), et 59% des métiers féminins (18% d’hommes)(1). Autre chiffre, du côté néerlandophone cette fois: à en croire le mémoire de Gaëlle Vanhaverbeke (Université de Gand), citée par nos collègues du Knack, à peine 33% des postes dans l’industrie musicale seraient occupés par des femmes, et là encore essentiellement liés à la communication…

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Pour changer les mentalités, reste alors peut-être à se serrer les coudes. Eline Van Audenaerde, 32 ans, n’a pas forcément le profil de la riot grrrl hystérique. Après une série de premiers groupes, elle a toujours bossé plus ou moins dans la musique, que ce soit dans la communication, ou à la radio. En 2014, elle filait jusqu’à Londres pour travailler sur la plateforme de streaming Mixcloud. « Au même moment, la community manager, Andreea Magdalina, a lancé Shesaidso. L’idée était d’offrir une sorte de plateforme pour les femmes du secteur. Pas seulement pour les DJ’s ou les productrices. Mais aussi les manageuses, directrices de label, journalistes, ingénieurs du son… » La Belge rejoindra rapidement l’aventure. Des événements mensuels sont mis en place (essentiellement des conférences thématiques). Surtout, Shesaidso entend mutualiser les énergies, et faire circuler les infos entre ses membres. « J’ai toujours été sensible à la problématique féministe. Mais en m’impliquant, je me suis retrouvée à réfléchir davantage à des choses qui avaient pu m’échapper jusque-là. Je me suis mise à repenser à certains épisodes, comme quand on m’a proposé par exemple de présenter un festival, parce que j’étais quand même « plus jolie à voir sur scène qu’un gros Noir« . OK, le type qui m’a sorti ça était bourré. Mais cela reste choquant, à la fois raciste, mais aussi carrément sexiste. »

En rentrant en Belgique, Eline Van Audenaerde lancera Shesaidso Belgique. Un an plus tard, la structure compte déjà près d’une centaine de membres. Des conférences-débats sont bientôt prévues à Charleroi et Liège. Hommes bienvenus? « Oui, bien sûr. Mais vous savez, en avril dernier, j’ai été invitée par l’asbl Court-Circuit pour parler de la place des femmes dans le secteur des musiques actuelles. C’était ouvert à tous. Pourtant, au final, il n’y avait qu’un seul homme présent dans le public. Et, quand on lui a demandé plus tard comment il était arrivé là, il a répondu: « Par hasard… » » (rires).

(1) LE 28/09, LE MAGAZINE ALPHABETA PROLONGERA LE DÉBAT À L’EDEN, DE CHARLEROI, LORS D’UNE SOIRÉE BAPTISÉE LAISSE TOMBER LES FILLES? DANS LE MÊME ORDRE D’IDÉE, LE PROCHAIN SIOUX FESTIVAL, À LIÈGE, A PRÉVU UNE DISCUSSION AUTOUR DE LA PLACE DES FEMMES DANS LES MUSIQUES ÉLECTRONIQUES, LE 10/09.

2016, été féministe

Ghostbusters

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Plus de 30 ans après le premier épisode, la franchise Ghostbusters est relancée. Dans sa version 2016, l’équipe de chasseurs de fantômes est cependant entièrement féminine! Une hérésie pour une série d’internautes, qui condamneront le film (avant même d’avoir pu le voir). Exemple de réaction sur le Net: « Et maintenant un Ghostbusters avec des femmes?! Mais qu’est-ce qui se passe?! » Le nom de l’intervenant: un certain Donald Trump…

Benoîte Groult

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Le 20 juin, Benoîte Groult s’éteignait, âgée de 96 ans. Ecrivaine, journaliste, elle fut une figure marquante du féminisme français. Notamment grâce à Ainsi soit-elle, essai sur la condition féminine, publié en 1975. Plus tard, elle présidera également la Commission pour la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions. « Rien ne changera profondément aussi longtemps que ce sont les femmes elles-mêmes qui fourniront aux hommes leurs troupes d’appoint », insistait-elle.

No make up

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Pas simple, en tant que femme, de se voir imposer des standards de beauté, en particulier quand on évolue dans le milieu du show-business? Après 20 ans de carrière, la chanteuse américaine Alicia Keys en a eu marre. Lassée de devoir tout le temps soigner son image pour se conformer aux jugements des autres, elle a notamment décidé de laisser tomber tout cosmétique pour apparaître au « naturel ». Jamais le hashtag « nomakeup » n’a paru aussi libérateur.

Qandeel Baloch

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Modèle et actrice, la Pakistanaise Qandeel Baloch se servait surtout de sa popularité sur le Net pour commenter la situation des femmes dans son pays. De manière visiblement trop expansive pour certains des membres de sa famille. Le 15 juillet, l’un de ses frères l’étouffera dans son sommeil. Elle avait 26 ans. Depuis l’annonce de sa mort, le Parlement pakistanais a accéléré l’approbation d’une nouvelle loi punissant plus sévèrement les crimes d’honneur.

Hillary Clinton

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Pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis d’Amérique, une femme briguera le poste suprême lors des élections de novembre. Si la tâche s’avère plus compliquée que prévu face à Donald Trump, Hillary Clinton conserve malgré tout de bonnes chances de l’emporter. Une victoire pour les femmes? Certes. Même si d’aucuns ne manqueront pas de noter que son colistier récemment désigné, Tim Kaine, reste, à titre personnel, opposé à l’avortement…

Spice Girls

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En 96, les Spice Girls sortaient leur premier album. Sous les mélodies bubblegum, la bande de filles projetait une image féminine beaucoup plus offensive que les poupées pop habituelles. Vingt ans plus tard, leur tube Wannabe est d’ailleurs repris par la Fondation Global Goals, dans une vidéo virale qui reprend le plan-séquence original pour illustrer les revendications des femmes à travers le monde (éducation des filles dans les pays en développement, égalité des salaires…).

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