Dix commandements pour remporter un Oscar

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Pour remporter un Oscar ou un César, la chance et la qualité d’un film ne sont pas tout. Qui veut décrocher la récompense suprême doit s’avérer fin stratège. Communication, pub, festivals…, voici dix secrets que se transmettent les futurs gagnants.

1. Dans les festivals, tu iras

Les festivals constituent une vitrine incontournable pour les candidats aux Oscars et aux César. Les grands rendez-vous des films césarisables vont de Berlin (Mammuth, The Ghost Writer) à Venise (Potiche) en passant évidemment par Cannes (Des hommes et des dieux, Tournée).

Les campagnes américaines reposent sur des manifestations ayant lieu sur une période plus resserrée, de Toronto, en septembre, à Palm Springs, juste avant les Oscars. Le parcours classique, comme cette année celui du Discours d’un roi, consiste à montrer le film dans un petit festival comme celui de Telluride, plutôt confidentiel et archi-cinéphile. « Il y aura peu de conséquence pour un film si ça ne marche pas, explique Didier Allouch, correspondant pour Canal+ à Los Angeles. Mais dans le cas contraire, ça crée un retentissement incroyable. Il y a deux ans, beaucoup de blogueurs y avaient dit que Slumdog Millionaire était formidable. Du coup, lorsque le Festival de Toronto a débuté, la projection de presse du film de Danny Boyle était déjà devenue un événement. »

2. De septembre à décembre, tu sortiras

Une règle d’or pour les Oscars: sortir le film entre septembre et décembre. Avant cela, de mars à août, les films (les fameux blockbusters) visent plus un box-office faramineux qu’une statuette. Seuls un ou deux survivants de cette période poursuivent leur course jusqu’aux Oscars (cette année: Inception et Toy Story 3).

Pour Didier Allouch, « c’est un système pervers: avec l’habitude, les votants ne regardent même pas les films de l’été avec un « oeil » Oscar ». En France, des distributeurs confient préférer une sortie fin décembre pour bénéficier de l’effet César pour un film encore en salle. Cette année, Le nom des gens et Des hommes et des dieux, qui sont encore projetés, pourraient profiter de ce phénomène.

3. Trop de succès, tu n’auras pas

L’an dernier, Avatar, l’un des plus gros cartons de tous les temps, a été snobé par la profession, au profit d’une petite production indépendante au succès mitigé, Démineurs. Cette victoire de David contre Goliath s’est répétée des dizaines de fois, en France comme aux États-Unis. Riche ou couronné? Il faut choisir. Cette année, Les petits mouchoirsa sûrement souffert de ses cinq millions d’entrées pour rester à la porte des nominations dans les catégories phares. Comme si les votants se disaient: « Il a déjà eu les entrées, on ne va pas, en plus, lui donner une récompense ».

Aux États-Unis, Inception fait les frais de ses 292 millions de dollars de recette. Certes, le film de Christopher Nolan s’est fait une place dans les nominations mais sans grande chance de remporter aucun Oscar.

4. Un DVD aux votants, tu enverras

Être vu ou se faire pirater? Le dilemme est là depuis que les deux Académies ont généralisé l’envoi de DVD à leurs votants avant le premier tour. Chaque année, le sujet fait débat. Aux États-Unis, la copie piratée apparaisant, quoi qu’il arrive, sur la toile en moyenne vingt jours après la sortie en salle, les studios américains préfèrent perdre des millions de dollars plutôt que de perdre un Oscar.

Du coup, rares sont les films non sortis en DVD présents dans le coffret des César. Cela limite-t-il leurs chances d’être nommés? Non. Les émotifs anonymes, Le nom des gens ou Potiche n’ont pas été expédiés aux votants. Mais Vénus noire et Les petits mouchoirs non plus, et ils sont quasi absents des nominations.

Ce qui est sûr, c’est que l’envoi d’un DVD booste considérablement un petit film. Il permet aux votants de découvrir un joyau passé un peu inaperçu à sa sortie. Démineurs en est la preuve l’an passé. La majorité des votants l’ont découvert sur leur télé! L’esquive, en 2005, puis Lady Chatterley ont clairement bénéficié de l’effet DVD. C’est le cas, cette année, pour L’arbre.

5. De la pub, tu feras

Quand le coût moyen d’une campagne américaine est estimé à 1 million de dollars (10 pour les plus gros films), les dépenses hexagonales n’excèdent pas quelques milliers d’euros, essentiellement dans l’achat de pages de pub dans la presse professionnelle pour se rappeler au bon souvenir des 3800 votants aux César. Le producteur du Nom des gens,entre autres, a acheté une page dans Le film français pendant les votes.

Outre-Atlantique, ces pages de pub (reconnaissables à leur mention « For Your Consideration ») ont pris tellement d’ampleur qu’un journal comme le Los Angeles Times y consacre un cahier entier. Disney, qui a décidé de remettre Toy Story 3 en selle pour les Oscars, a investi dans une campagne de pub très subtile, qui détourne avec humour plusieurs films oscarisés. Conséquence directe, la presse papier, qui réalise en trois mois ses recettes publicitaires de l’année, perd tout esprit critique. Comment ne pas s’étonner en effet que peu de médias aient relevé l’aberration de la présence aux Golden Globes des acteurs du très mauvais The Tourist?

6. Un prix de la presse, tu remporteras

Recevoir un prix des critiques de cinéma, congrégation si souvent honnie, peut aider à décrocher le trophée suprême. Aux États-Unis, entre décembre et janvier, les critiques des plus grandes villes du pays récompensent leurs chouchous. Cette année, plus de dix-sept groupes de critiques ont élu The Social Network film de l’année (parmi eux ceux de New York, Los Angeles, San Francisco, Chicago et Boston). Leur verdict est même souvent prémonitoire car, depuis leur existence, seuls quatre oscarisés n’ont pas été reconnus comme meilleurs films par les critiques: Crash, Million Dollar Baby, Titanic et Danse avec les loups.

Ces prix de la presse connaissent leur apogée avec les Golden Globes décernés par l’association des journalistes étrangers en poste à Hollywood. Remis mi-janvier, au cours d’un dîner où sont présents tous les nommés, les Golden Globes ont souvent fait l’objet de rumeurs sur leur équité ou leur corruption, mais demeurent un baromètre essentiel des Oscars.

En France, des trophées similaires, les Lumières du cinéma, ont été créés il y a seize ans, à l’initiative de Daniel Toscan du Plantier et du journaliste Edward Behr. Ils réunissent près de deux cents correspondants étrangers en France. Cette année, Des hommes et des dieuxa été sacré meilleur film et Roman Polanski meilleur réalisateur. Côté acteurs, Kristin Scott Thomas et Michael Lonsdale l’ont emporté.

7. Dans les soirées et à la télé, tu te montreras

« Habituellement, les acteurs se font rares en interviews, commente un analyste des Oscars. Dès que la campagne commence, on les voit rebondir d’un talk-show à un autre et on lit dans leurs yeux: « Je veux un Oscar ». »

Un des classiques du genre est d’inaugurer son étoile sur le Walk of Fame. Pour cela, réunissez une pétition remplie de signatures et 25.000 dollars. C’est ce qu’a fait Colin Firth le 13 janvier. Plus original, le comédien britannique a été reçu par tout ce que New York compte de noblesse anglaise dans un club privé dont les journalistes devaient cacher l’adresse. Javier Bardem, lui, s’est trouvé une marraine de choix en la personne de Julia Roberts qui a organisé une projection très select de Biutiful pour son ami espagnol, et balance à qui veut l’entendre que Bardem doit être dans la liste des nommés, « sinon, on est foutus ». Pour elle, « les votants ne vont pas chercher les joyaux cachés mais récompensent juste ce qu’on leur balance au visage ».

Côté français, les manoeuvres sont plus discrètes. On peut néanmoins remarquer que Kristin Scott Thomas a fait deux couvertures (Télérama, Madame Figaro) pour évoquer son nouveau film, Contre toi, mais surtout sa performance dans Elle s’appelait Sarah.

8. Par ton propre film, tu ne te feras pas flinguer

Gare aux embouteillages! L’an dernier, en France, François Cluzet a perdu toute chance de remporter le César du meilleur acteur quand les votes du premier tour l’ont fait figurer à deux reprises dans la catégorie, pour À l’origine et Le dernier pour la route. Par ailleurs, en 2007, Eddie Murphy, donné gagnant pour l’Oscar du second rôle dans Dreamgirls, se tire une balle dans le pied en sortant Norbit, où il pète, vomit et se déguise en grosse dondon. Les 6000 votants sont allés voir ailleurs.

Archi-favorite pour sa prestation dans Black Swan, Natalie Portman se retrouve aujourd’hui à l’affiche de Sex Friends, un navet dont elle est productrice. Mais la belle est très forte et retourne cela à son avantage : une semaine avant le junket, elle annonce sa grossesse, explique aux journalistes qu’elle avait besoin de légèreté après le film sombre d’Aronofsky et expose ses formes de future maman à la première du film. L’écran de fumée semble fonctionner. Apprendre à s’afficher sans se disperser, tout un art!

9. Ta popularité, tu soigneras

« Les deux facteurs qui régissent une campagne en vue d’avoir un Oscar ne sont pas le talent et l’honneur mais la cote de sympathie et le buzz », avoue un analyste des Oscars. Postuler pour un Oscar, c’est un peu comme se faire élire en politique: chaque voix compte et il faut aller la chercher. « Beaucoup de célébrités coordonnent leur vie privée pour apparaître les plus séduisantes aux yeux des votants, explique le journaliste Ben Widdicombe. Ainsi, une actrice a persuadé son ex-petit ami de rester à ses côtés pendant la campagne pour ne pas perdre en glamour. Une fois l’Oscar obtenu, elle a officiellement rompu. » On note qu’Hilary Swank, Sandra Bullock, Julia Roberts, Halle Berry et Reese Witherspoon ont quitté leur fiancé peu de temps après la cérémonie.

Pire encore, le facteur de non-popularité peut vous faire perdre une statuette alors même que votre performance est extraordinaire. Mal aimé par la profession, Leonardo DiCaprio est complètement oublié des candidats potentiels à l’Oscar alors qu’il a fait deux films forts cette année: Shutter Island, de Martin Scorsese, et Inception, de Christopher Nolan. La star n’a même pas d’étoile sur le Walk of Fame! En France, Vincent Lindon souffre, sans qu’on sache pourquoi, du même ostracisme de la part de l’Académie. Nommé quatre fois aux César, il est toujours reparti bredouille.

10. En salle, tu ressortiras

Pourquoi attendre qu’un film soit récompensé pour générer des bénéfices? « La campagne est devenue un élément marketing important pour attirer le spectateur, explique Didier Allouch. Voir tous les films dont on parle est devenu un élément de la pop culture. »

Pour Thierry Lacaze, l’encombrement des salles empêche de faire la même chose en France, dans un contexte où sortent quinze films par semaine: « L’exploitation se retrouverait vite dans une position extrêmement délicate, et je doute que ce soit faisable de la sorte. »

Alors que Black Swan ou Le discours d’un roi profitent de la compétition, la grande surprise, c’est la stratégie peu conventionnelle de The Social Network: le film n’a pas fait la tournée des festivals, a tout misé sur l’universalité de son sujet (Facebook) et est ressorti, depuis peu, sur six cents copies pour exister face à True Grit, autre phénomène qui s’est invité tout seul dans la course grâce à un succès inattendu. Pour beaucoup d’experts, si le film de David Fincher remporte un trophée majeur, la course aux Oscars n’aura plus jamais le même visage.

Sophie Benamon et Emmanuel Cirodde

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