Critique

[Critique ciné] Frantz: Ozon se réinvente une fois de plus

Pierre Niney et Paula Beer dans Frantz de François Ozon. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

DRAME | François Ozon réussit un film d’époque et un drame intimiste qui parvient à être tout à la fois universel et riche en échos contemporains.

« Ma seule blessure, c’est Frantz… » Le visiteur venu de France parle de cette guerre qui vient de s’achever et qui lui a pris son ami allemand. Adrien est venu en pays ennemi, rencontrer les parents de Frantz. La fiancée du jeune soldat, tué au front, est aussi présente. La démarche du Français n’est d’abord pas comprise, tant la haine entre les deux peuples survit à l’armistice de 1918. Tant aussi et surtout la douleur d’avoir perdu un fils, un futur époux, laisse une plaie béante, obstacle au dialogue qui va pourtant peu à peu se nouer… François Ozon réussit un film d’époque et un drame intimiste qui parvient à être tout à la fois universel et riche en échos contemporains. Il parle de guerre, de haine, de rancune et de réconciliation, de vengeance et de promesses d’une autre guerre à venir, aussi de nationalisme et d’identité. Des thèmes d’alors qui sont aussi -et douloureusement- des thèmes d’aujourd’hui. Un peu comme Haneke avec son superbe et glaçant Le Ruban blanc, Ozon opère la transmutation d’un récit au passé en discours au présent subtil et discret. Il le fait sans aucune volonté de démonstration, par les vertus d’une réalisation classique, au noir et blanc magnifique semé de touches de couleur intelligemment placées.

Le spectateur qui chercherait la logique de cette alternance entre noir et blanc et couleur se verra constamment surprendre. Ozon reste ennemi des systèmes, qu’ils soient formels, narratifs ou idéologiques. Son domaine est celui d’une ambiguïté nécessaire parce qu’au fond humaine. Pierre Niney, judicieusement choisi pour jouer Adrien, s’inscrit dans ce doute existentiel. Lorsqu’il évoque son amitié avec Frantz, on se demande à un certain moment s’il n’était pas question, entre les deux jeunes hommes, d’un autre sentiment… Cet élément d’incertitude accentue le suspense d’un drame prenant peu à peu des allures de thriller criminel. Le moteur narratif qu’est l’ambiguïté nous emmène vers plus d’une fausse piste, plus d’une révélation. Et par-delà, vers une seconde partie de récit où amour et mensonge dansent un admirable pas de deux. Les interprètes allemands sont parfaits, Paula Beer (vue dans Diplomatie de Schlöndorff) campant avec bonheur le personnage d’Anna, veuve avant même d’avoir été mariée. Ozon se réinvente une fois de plus sans rien abandonner de ce qui rend son cinéma tellement riche dans sa modestie, tellement émouvant dans son constant refus du sentiment facile: le désir d’histoires et d’images y rayonne avec une évidence qui n’appartient qu’à lui, et ne faiblit jamais.

DE FRANÇOIS OZON. AVEC PIERRE NINEY, PAULA BEER, ERNST STÖTZNER. 1H53. SORTIE: 07/09. ****

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