Critique

Critique ciné: Blue Ruin

Blue Ruin © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

THRILLER DRAMATIQUE | À l’abri des clichés, Jeremy Saulnier signe un thriller gonflé où le sanglant récit de vengeance mute sans prévenir en tragi-comédie désespérément humaine.

Ça commence comme une série B somme toute banale. Quand Dwight (Macon Blair, hirsute et magnétique), type solitaire en voie de clochardisation avancée, apprend la libération imminente du meurtrier présumé de ses parents, il n’a qu’une seule idée en tête: le planter. Ce dont il s’acquitte avec un certain aplomb, avant de comprendre qu’il vient de mettre le doigt dans un engrenage fatal, le conduisant bientôt d’initiatives hasardeuses en foirages tragiques. Et le récit de vengeance annoncé, façon cinéma d’exploitation brut et saignant, d’être ramené à hauteur d’homme, drame familial mâtiné de giclées de violence sans concession mais aussi d’humour, de maladresses et de mélancolie.

En ce sens, le titre Blue Ruin renvoie aussi bien à la berline bleue et rouillée dans laquelle vit Dwight au début du film qu’à l’expression anglo-saxonne synonyme de « débâcle », Jeremy Saulnier (lire son interview dans le Focus du 25 avril) signant là un thriller certes sombre et tendu mais où l’on se coupe malencontreusement la main en crevant un pneu, où l’on se fait piquer son flingue de la manière la plus insensée qui soit, où l’on tombe dans les pommes, où l’on doute, où l’on souffre, où l’on se trompe… Un traitement hyper réaliste, dépourvu de toute frime, qui contribue à rendre éminemment attachant, pour ne pas dire singulier, un film réduit à l’essentiel, sans gras sur l’os.

Sang pour sang

Inattendu, original, le deuxième long métrage de Jeremy Saulnier, sept ans après la comédie horrifique Murder Party, ne s’inscrit pas moins fort logiquement dans une certaine tradition indépendante américaine. Objet cinématographique à la croisée des genres où deux clans sont entraînés dans l’infernale spirale de la loi du talion, Blue Ruin apparaît ainsi comme le cousin teigneux du Shotgun Stories de Jeff Nichols, tant par les thèmes qu’il charrie que dans la manière -une vendetta familiale qui emprunte aux codes du western-, et jusqu’au cadre désolé, inépuisable, offert par l’Amérique profonde -une petite ville de l’Arkansas chez Nichols, le coeur de la Virginie chez Saulnier. On pense aussi aux frères Coen de Blood Simple ou de Fargo, pour ce réjouissant mélange de violence explicite et d’humour corrosif.

Et à dire vrai, Blue Ruin pourrait prétendre au même degré d’excellence que les oeuvres précitées s’il ne se piquait, jusque dans son final passablement moralisateur, d’une réflexion certes pertinente mais appuyée sur la question des armes, et de l’usage qui en est fait sur le sol américain, ouvrant sur une dimension politique quelque peu poussive dont le film aurait gagné à faire l’économie.

  • De Jeremy Saulnier. Avec Macon Blair, Devin Ratray, Amy Hargreaves. 1h32. Sortie: 7/05.
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