Comment éviter un flop au cinéma? Ce logiciel le sait

Black Mirror, Fifteen Millions of Merits. © Channel 4
Tanguy Labrador Ruiz

Affectiva, programme ultradéveloppé de big data, propose aux sociétés de production de cinéma d’analyser les réactions des spectateurs à leurs films pour un retour maximum sur investissement. Flippant? Explications.

Lorsque on sait que The Hobbit: The Battle of the Five Armies, qui sortira en décembre, a couté 250 millions $, on peut se douter que les investisseurs en lice dans de tels projets cherchent à faire de bons retours sur investissements.

Avancer de gigantesques sommes dans des énormes productions est en effet toujours un risque. Quand un film comme The Lone Ranger coûte également 250 millions et n’en rapporte que 10, il va de soi que tout le monde n’est pas ravi. Les gros portefeuilles cherchent donc des solutions pour minimiser les risques. Et c’est du côté de la technologie que le vent semble tourner.

En effet, lorsque un programme comme Affdex propose d’enregistrer les réactions faciales d’une audience déterminée, l’intérêt des grosses puissances médiatiques est en alerte. Comment cela fonctionne-t-il? Des capteurs enregistrent les moindres réactions faciales du public. Ensuite, ces informations sont analysées et stockées dans d’immenses bases de données.

Il n’est pas dur d’imaginer à quel point un outil aussi performant (les capteurs sont si précis qu’ils peuvent mesurer le rythme cardiaque de chaque personne présente) peut intéresser des publicitaires à la recherche du spot le plus vendeur. Mais cet outil pourrait également être très utile pour des réalisateurs. Savoir quelle scène captive le spectateur et laquelle lui donne envie de regarder sa montre (ou son smartphone) est un atout de taille dans l’élaboration d’un blockbuster.

Une technologie qui permettrait donc, en théorie, de proposer un contenu taillé sur mesure à un public cible bien défini. Et donc d’assurer une réussite commerciale totale.

C’est d’ailleurs un peu déjà comme cela que Netflix fonctionne. Avec ses 44 millions d’utilisateurs, le géant du streaming américain possède un nombre faramineux d’informations sur les modes de consommation de ses utilisateurs. Qui regarde quoi, à quel moment une pause est effectuée, quelles scènes sont re-visionnées… Toutes ces informations, une fois soigneusement sauvegardées et analysées, permettent au service de vidéo en ligne de faire « les bons choix » en matière de futures programmations. Exemple concret: les données récoltées par Netflix indiquaient clairement que les abonnés apprécieraient regarder une nouvelle série dramatique axée sur la politique. Aussitôt, Netflix renchérissait sur les droits de l’adaptation de la série britannique House of Cards, face à des géants comme HBO et AMC. Et le succès fût largement au rendez-vous. La stratégie marketing de promotion de la série alla jusqu’à diffuser différents trailers, adaptés à la consommation de différentes catégories d’utilisateurs. Si quelqu’un avait regardé des films avec Kevin Spacey, le trailer s’attardait davantage sur le rôle de l’acteur dans la série. Si une autre personne avait regardé des films réalisés par David Fincher, l’accent était mis sur l’implication du réalisateur dans la série. Subtile manipulation…

Plus que jamais, les puissances mondiales de production et de distribution tentent d’assimiler un maximum de données sur chaque consommateur, même potentiel. Et comme vu ci-dessus, les moyens mis en place pour y parvenir sont de plus en plus élaborés. Mais quelles sont et seront les conséquences d’une telle virtualisation de l’utilisateur et de ses habitudes? Les émotions ressenties lors de l’apothéose d’un bon film par un spectateur peuvent-elles vraiment être analysées par des ordinateurs? Si l’évolution des marchés poursuit sa course effrénée dans ce sens, il est permis de se demander ce qu’il restera des gens, des personnes en tant que tel, à partir du moment où tout ce qui leur est fourni est basé sur les données récoltées à leur sujet et qui, par définition, ne peuvent pas les définir réellement. La série Black Mirror soulève d’ailleurs le débat à ce sujet, à l’aide de projections fictives dans un futur proche plus que réaliste et probable.

Mais le plus inquiétant demeure sans doute au niveau qualitatif de la production des films et séries. Si chaque réalisation suivait ce modèle dans son processus d’élaboration, ceux-ci ne feraient plus que répondre à une demande et, du coup, n’en créeraient plus de nouvelles (peut-être est-ce même déjà le cas). Exit, les jeunes talents et les visionnaires qui chamboulent tous les codes mis en place, pour le plus grand plaisir de nos cerveaux. Terminé, la controverse et le politiquement incorrect. Les projections au cinéma deviendraient alors aussi balisées qu’une piste de décollage. Sauf que nous resterions tristement collés au sol.

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