Laurent Raphaël

Colt case

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Trompettes mexicaines emballées dans du papier à musique symphonique que ne renierait pas Ennio Morricone. Le décor sonore est planté… Ne manque plus que la silhouette du cow-boy solitaire sur sa monture.

Justement, la voilà, descendant ce qui ressemble à la rue principale d’une bourgade poussiéreuse du Far West. Du Henry Hathaway pur jus. Sauf qu’au lieu de continuer à brûler un cierge pour le maestro italien, la bande son vire hip hop. Et qu’au lieu de voir John Wayne casser de l’indien, on découvre un homme à la peau noire, croix bien visible autour du cou. Cette pigmentation foncée, on la retrouve d’ailleurs chez la plupart des badauds qui rôdent dans les parages, comme un négatif des films qui nous ont brûlé la cervelle. Les sériopathes auront immédiatement reconnu dans ce prêtre pas net la balafre et l’oeil fou de Michael Kenneth Williams, inoubliable Omar Little dans The Wire. La suite du clip est à l’avenant: beats moites caramélisés par une voix chalumeau revisitant les scènes clichés -duel au soleil, bagarre de saloon, femme fatale pistolet au poing…- tout droit sorties de la mythologie de la conquête de l’ouest, en mode western spaghetti plus que fresque fordienne. Renseignements pris, cette petite tuerie sonore visible sur YouTube s’intitule They die by dawn. Elle est l’oeuvre de The Bullitts, prête-nom de l’artiste tout-terrain from London Jeymes Samuel, et figurera sur son premier album attendu ces jours-ci. Outre la crème brûlée qui fond dans les oreilles, on retiendra de cette vidéo le casting largement afro-américain. Un renversement des rôles qui sent la provoc, l’engrais politique, comme animé par l’esprit trublion d’un Tarantino quand il met en selle un esclave affranchi et excentrique (le classieux Jamie Foxx) pour botter le cul aux racistes du sud dans son récent Django Unchained. Cette représentation colorée est incompatible avec l’imaginaire gavé de Wasp « vendu » par le cinéma depuis un siècle, et qui a forgé dur comme fer (à cheval) l’idée que le cow-boy est forcément un type au visage pâle, libre comme l’air brûlant de la sierra et droit comme une Winchester. Une sorte d’aristo des grandes plaines auquel il ne faut pas chercher des noises car il a beau pratiquer les mondanités à petites doses, il est chatouilleux sur les principes. Alors, ce clip, provoc pop ou fond de vérité? Les deux mon capitaine. Car oui, on l’a oublié ou on ne l’a jamais su, mais le vacher ne ressemblait pas à l’icône glamour et virile qu’en a fait Hollywood. Dans la réalité, cette profession était sous-payée et royalement méprisée. Au point que ce sont surtout les Noirs (un tiers des effectifs), les Mexicains et les métis qui, faute de mieux, jouaient du lasso. On a pourtant beau interroger notre mémoire, rembobiner les excellents Sam Peckinpah et Sergio Leone, s’il y avait ici et là des accents plus humanistes, on n’a jamais vu un black tenir le beau rôle, sauf pour laver son honneur sali dans Le Sergent noir de John Ford. Ou pour sauver sa peau dans Buck et son complice de Sydney Poitier. Un hold-up sociologique de grande ampleur qui secoue la raison. On sait bien que la fiction prend des libertés avec la vérité, on se fait quand même avoir comme des bleus par l’illusion de vraisemblance. Heureusement, il n’est jamais trop tard pour remettre les pendules à l’heure. Spike Lee, si tu nous entends…

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