Cate Blanchett, actrice exigeante et icône glamour engagée

Cate Blanchett, comédienne au talent polymorphe. © Sébastien Botella/Patrice Lapoirie/belgaimage
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Le 71e festival de Cannes s’ouvre ce mardi 8 mai. Cate Blanchett, l’actrice australienne deux fois oscarisée, aura la lourde tâche d’en présider le jury.

« Nous sommes très heureux d’accueillir une artiste rare et singulière dont le talent et les convictions irriguent les écrans de cinéma comme les scènes de théâtre. Nos conversations, cet automne, nous promettent qu’elle sera une présidente engagée, une femme passionnée et une spectatrice généreuse. » Le communiqué annonçant, le 4 janvier dernier, le choix de Cate Blanchett pour présider le jury du 71e festival de Cannes exprimait l’enthousiasme de Pierre Lescure, le président de la manifestation, et Thierry Frémaux, son délégué général. Et pour cause, on ne pouvait rêver casting plus judicieux, la star australienne ralliant tous les suffrages, actrice exigeante et icône glamour engagée sur les fronts tant artistique que politique.

Ce choix permet u0026#xE0; Cannes de s’inscrire ru0026#xE9;solument dans le courant de l’apru0026#xE8;s-Weinstein

Un choix d’autant plus avisé qu’il permet à Cannes de s’inscrire résolument dans le courant de l’après-Weinstein, la comédienne étant à la pointe du combat contre le harcèlement sexuel. Elle ne s’est ainsi pas privée de déclarations bien senties en diverses occasions: « Nous aimons toutes être sexy, mais ça ne veut pas dire que nous voulons b… avec vous », aux InStyle Awards, à Los Angeles. Ou encore: « Tout homme qui se trouve dans une position d’autorité ou de pouvoir et pense avoir le droit de harceler, menacer ou agresser sexuellement des femmes qu’il rencontre ou avec lesquelles il travaille doit rendre des comptes », lors de l’émission Entertainment Tonight. Paroles auxquelles elle a joint les actes, en lançant, avec diverses personnalités, dont Meryl Streep et Natalie Portman, la fondation Time’s Up, qui vise à financer un soutien légal pour les victimes de harcèlement.

71 éditions, 11 présidentes

Les amateurs de statistiques relèveront que Cate Blanchett sera, quatre ans après la réalisatrice Jane Campion, la onzième femme, à peine, à présider le jury cannois. Elle est aussi la neuvième comédienne à exercer cette fonction, ayant été précédée par Olivia de Havilland, Sophia Loren, Michèle Morgan, Ingrid Bergman, Jeanne Moreau (à deux reprises), Isabelle Adjani, Liv Ullmann et Isabelle Huppert (1). Que du beau monde, donc, rejoint aujourd’hui par une actrice iconique qui compte assurément parmi les plus douées de sa génération ; l’une des plus aventureuses aussi, ayant adopté la prise de risque comme ligne de conduite, capable d’enchaîner, tout récemment encore, Manifesto, une production indépendante où elle tient treize rôles différents, et Thor: Ragnarok, gloubi-boulga Marvel où elle campe un personnage maléfique, Hela, la déesse de la mort, avec un incontestable panache.

Il est vrai qu’on a coutume de dire que miss Blanchett peut tout jouer, disposition que l’actrice originaire de Melbourne (elle célèbrera ses quarante-neuf printemps pendant sa présidence cannoise) s’est employée à exercer précocement. Formation à l’Institut national d’art dramatique de Sydney, le théâtre et la télévision comme tremplins: les débuts sont classiques. Le cinéma lui tend rapidement les bras et il ne faut guère attendre pour que l’Australienne diaphane crève l’écran – ce sera dans Elizabeth, de Shekhar Kapur, en 1998, où, dans le rôle-titre, celui d’Elisabeth Ière d’Angleterre, elle réalise des prodiges, un Golden Globe et une nomination aux Oscars à la clé. Distinctions qui en annonceront de nombreuses autres, dont deux Oscars, celui du meilleur second rôle pour son interprétation de Katharine Hepburn dans The Aviator, de Martin Scorsese, en 2005, suivi, neuf ans plus tard, de celui de la meilleure actrice pour Blue Jasmine, de Woody Allen, où elle dévalait l’échelle sociale avec brio.

Deux emplois parmi d’autres, pour une comédienne au talent polymorphe, que l’on vit encore en reine des Elfes chez Peter Jackson (les trilogies The Lord of the Rings puis The Hobbit), en combattante de la Résistance chez Gillian Armstrong (Charlotte Gray), en journaliste chez Joel Schumacher (Veronica Guerin), en aventurière russe chez Steven Spielberg (Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull), dans son propre rôle et celui de sa cousine dans Coffee and Cigarettes, de Jim Jarmusch, se consumant pour Rooney Mara à rebours des conventions dans Carol de Todd Haynes, et même… en Bob Dylan, dans le portrait kaléidoscopique imaginé par Haynes toujours (I’m Not There).

Un curriculum imposant

Et l’on en passe, la filmographie de Cate Blanchett se lisant comme un best of de la production anglo-saxonne des vingt dernières années, qui aligne encore The Life Aquatic with Steve Zissou de Wes Anderson, Babel d’Alejandro Gonzalez Inarritu, Notes on a Scandal de Richard Eyre, The Curious Case of Benjamin Button de David Fincher… l’actrice se risquant encore au grand écart entre Knight of Cups, de Terrence Malick, et Cinderella, de Kenneth Branagh. Manière d’acter que rien, apparemment, ne lui résiste, peu de comédiennes ayant su, comme elle, s’épanouir aussi bien dans le cinéma indépendant que dans son pendant mainstream, sans qu’elle eut jamais à rougir de choix assumés avec style. Soit le privilège des plus grandes, exercé encore à la scène pour laquelle elle délaisse parfois l’écran, dirigeant avec son mari Andrew Upton, avec qui elle a quatre enfants, la compagnie théâtrale de Sydney de 2008 à 2013; apparaissant dans des productions de Oncle Vania, de Tchekhov, ou Grand et petit, de Botho Strauss (créé au théâtre de la Ville de Paris); donnant la réplique à Isabelle Huppert dans Les Bonnes; faisant ses débuts à Broadway en 2016 dans The Present, inspiré de Platonov, de Tchekhov encore. Insatiable, donc, elle qui ajoute à ce curriculum imposant ses qualités d’égérie d’Armani, et ses fonctions d’ambassadrice de bonne volonté pour le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Commentant l’honneur qui lui échoit aujourd’hui, Cate Blanchett a eu ces mots: « Le privilège que l’on me fait de me demander de présider le jury et la responsabilité qui sera la mienne m’emplissent d’humilité. Cannes joue un rôle majeur dans l’ambition du monde de mieux se connaître en racontant des histoires, cette tentative étrange et vitale que tous les peuples partagent, comprennent et désirent ardemment. » L’élégance et l’intelligence, en somme…

(1) L’écrivaine Françoise Sagan, en 1979, complète la liste des femmes ayant présidé le jury du festival.

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