Benoît Mariage

Benoît Mariage: « Sans moyens à la RTBF, la qualité ne sera plus au rendez-vous »

Benoît Mariage Cinéaste, professeur

À la réduction des subventions, au délestage de la culture à la RTBF et à la précarisation du statut des artistes s’ajoute un climat délétère aux relents populistes qui tente de faire passer l’art pour une lubie d’aristos. Qu’en pensent les principaux intéressés? La parole à Benoît Mariage.

Sa comédie grinçante et hilarante Les Rayures du zèbre a offert cette année un de ses meilleurs rôles à Benoît Poelvoorde, qu’il avait déjà dirigé dans Les Convoyeurs attendent et Cowboy. Cinéaste, le natif de Virton est aussi prof à l’IAD. Il fut photographe de presse (pour Vers l’Avenir) avant de devenir réalisateur en signant de nombreux et mémorables sujets pour le magazine télévisé de la RTBF Strip-Tease.

Coupes budgétaires, précarisation du statut des artistes, réduction à la portion congrue de la culture sur la RTBF, censures… La culture est-elle en danger?

Certainement. Car la matière culturelle de qualité exige de l’investissement et donc du temps. Quand j’ai débuté au magazine Strip-tease de la RTBF, fin des années 80, on avait un contrat d’un mois pour treize minutes de film à l’antenne. Cela incluait une semaine de repérages, une semaine de tournage et deux semaines de montage. La qualité de ce magazine qui allait devenir culte était intiment liée aux moyens dont on disposait à l’époque. Et que seule une télévision de service publique pouvait octroyer. Sans ces moyens, Strip-tease n’aurait jamais eu le retentissement qu’il a connu… Et sans des moyens appropriés, je pense notamment aux séries télé autoproduites par la RTBF, la qualité ne sera plus au rendez-vous.

De même, dans un autre domaine, le statut d’artiste permet à de nombreux jeunes cinéastes d’écrire le scénario de leur premier film et donc de se lancer dans le métier. Car, quel producteur paye aujourd’hui un gars sorti d’une école de cinéma pour écrire un premier long métrage? Aucun. Tous les cinéastes émergents d’aujourd’hui qui font la renommée de notre cinéma connaissent l’importance de ce statut. Précariser ce statut, c’est vraiment scier la branche sur laquelle repose la vitalité de notre cinéma.

Sans moyens u0026#xE0; la RTBF, la qualitu0026#xE9; ne sera plus au rendez-vous.

Mais paradoxalement, sur le fond, la culture est aussi mise en danger par une prolifération et un bombardement presque anarchique de contenus dits culturels qui occupent l’esprit sans nécessairement nous éclairer et nous aider à vivre… Dans ce magma dit culturel, comment je peux préserver en moi une pensée singulière et originale, et qui sera pour moi garante d’une vigilance et une conscience accrues? Et qui m’aidera à devenir meilleur? Dans le foisonnement culturel proposé aujourd’hui, il faut plutôt éviter la boulimie! Et pour ma part, la première culture que j’essaie de développer est celle du silence!

Pourquoi est-elle mal-aimée ou à tout le moins déconsidérée de nos jours?

Parce qu’elle ne sert à rien… alors qu’elle donne un sens à tout! Notre monde, qui a édifié les valeurs tangibles et concrètes comme un absolu, n’en comprend pas toujours la nécessité. La tyrannie du visible nous a rendus aveugles, dit Bobin. Comme ce monde s’écroule, on peut espérer que la culture a tout l’avenir devant elle!

A qui la faute? Aux parents? Aux politiques? A l’école? A Internet?

D’abord, à nous, en restaurant notre sens de la responsabilité individuelle. Le confort ne fait pas grandir, et souvent nos combats les plus acharnés visent à préserver ce confort. La culture, c’est ce qui nous tire de ce confort en nous rappelant le sens et les enjeux de l’existence. La culture, c’est aussi tout ce qui relie les gens entre eux. Ce qui permet de sortir de nos replis individualistes. Et nous redonner le goût de vivre ensemble. Et puis, l’école a un rôle important; le goût de la culture, l’éveil à la beauté, le besoin de sens est d’abord une question d’éducation. C’est là que l’on doit mettre le « paquet »… pour que la culture ne devienne pas élitiste. Ce qu’elle est encore trop. Afin qu’un jour, les oeuvres les plus belles soient enfin lues, vues ou entendues par le plus grand nombre. Et que l’expression et ses arts soient rendus à ceux qui ont le plus à dire et enseigner.

C’était mieux avant?

Avant je prenais le bus pour aller louer un CD ou deux par semaine à la Médiathèque de Namur… Sur le chemin du retour, je lisais et relisais la jaquette, pressé d’entendre… Aujourd’hui, le cul sur ma chaise, en un clic, j’ai accès à la plus grande discothèque du monde… Est-ce que ça me rend plus heureux? Je n’en suis pas sûr… Là, je sens déjà que je vais être taxé de passéiste ou de ringard…

Quels arguments utiliseriez-vous pour convaincre les réticents que la culture doit être une priorité?

Dans ces temps délicats et difficiles, c’est peut-être elle qui nous protège le mieux contre l’insignifiance du monde.

Comment redonner le goût de la culture?

En la pratiquant. Vaut mieux avoir chez soi une clarinette qu’un abonnement à Spotify…

Les révolutions technologiques ont de tout temps bouleversé les pratiques culturelles. N’est-ce pas un combat d’arrière-garde que de s’accrocher à une vision « classique », immuable de la culture?

Qu’importe le contenant, pourvu qu’il y ait l’ivresse…

L’écran domestique est-il l’avenir du cinéma?

Le mieux reste la toile… si possible regardée sous les étoiles! En Belgique, c’est compliqué!

PROPOS RECUEILLIS PAR LOUIS DANVERS

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