Armie Hammer, l’acteur qui monte

Armie Hammer (à gauche), dans la peau de James Lord, prêt à se faire longuement tirer le portrait par Giacometti (Geoffrey Rush). © dr
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Armie Hammer brille dans Final Portrait, le film de Stanley Tucci, où il incarne l’écrivain James Lord posant, imperturbable, pour un Alberto Giacometti perfectionniste.

Période faste pour Armie Hammer qui, quelques mois après le lumineux Call Me by Your Name de Luca Guadagnino, figure à l’affiche de l’élégant Final Portrait de Stanley Tucci. L’acteur y campe l’écrivain américain James Lord qui, par un jour de 1964, se vit proposer par Alberto Giacometti de réaliser son portrait dans son atelier parisien. Ce qui ne devait être que l’affaire de quelques jours allait s’éterniser, prétexte aujourd’hui pour le cinéaste à subtilement questionner le processus créatif… Si Lord était, à l’évidence, un individu réservé, acceptant les longues séances de pose sans guère sourciller, en un savant dosage de curiosité et de fatalisme, Hammer se révèle pour sa part expansif, tout à la joie, peut-être, de l’accueil réservé par le festival de Berlin 2017 aux deux films. « Mais je ne les ai pas tournés en spéculant sur le long terme, sourit-il. J’aurais fait n’importe quoi pour travailler avec Stanley Tucci. Et j’adorais par ailleurs les films de Luca Guadagnino, non sans avoir lu le roman Call Me by Your Name , l’un des plus sexy qui soient. Qu’un réalisateur aussi sensuel que Luca se lance dans un tel projet représentait une opportunité incroyable, il n’y avait aucune hésitation à avoir… »

Hammer, on l’a découvert en 2010 dans The Social Network de David Fincher, où il crevait l’écran dans le double rôle des jumeaux Cameron et Tyler Winklevoss. L’acteur californien allait enchaîner avec J. Edgar de Clint Eastwood, avant de se multiplier devant la caméra de Gore Verbinski (The Lone Ranger), Guy Ritchie (The Man from U.N.C.L.E.), Tom Ford (Nocturnal Animals) et autre Ben Weathley (Free Fire). La vocation, il raconte l’avoir eue en découvrant… Home Alone. « Come on, j’avais douze ans!, s’exclame-t-il, alors qu’on ne peut réprimer un rire. J’ai vu ce film, je suis allé me coucher et j’ai rêvé que j’étais Macaulay Culkin. Le lendemain, je me suis réveillé en me disant que le business du cinéma avait définitivement l’air cool… Je ne comprenais pas encore exactement de quoi il retournait, mais je savais que je voulais en être. »

Il lui faudra toutefois patienter quelques années encore, l’ado qu’il était entre-temps devenu franchissant le pas dans des circonstances originales: « Je finissais l’école secondaire, où je m’ennuyais à un point que ça en devenait destructeur. Bien que présent physiquement, j’étais totalement déconnecté en classe, si bien qu’un de mes professeurs m’a un jour apostrophé: « Dites-moi, Monsieur Hammer, est-ce nous vous dérangeons? Avez-vous quelque chose de plus intéressant à faire? Préféreriez-vous être ailleurs? » Après avoir réfléchi une seconde, je n’ai pu que répondre par l’affirmative. Et le prof m’a signifié ne pas me retenir, avant de me montrer la porte. De retour à la maison, j’ai annoncé à mes parents que j’arrêtais l’école pour devenir acteur, et j’ai donc postulé à différents cours d’art dramatique. Ils ont été estomaqués, mais je dois aussi concéder qu’ils ont tout fait pour m’encourager une fois qu’ils ont vu que j’étais sérieux. » Armie Hammer confie encore les avoir définitivement convaincus du bien-fondé de sa décision après avoir obtenu le rôle de Batman, idole paternelle, dans le Justice League de George Miller. Le projet avortera cependant sans que sa carrière ait à en souffrir. Ce qu’il apprécie avec une bonne dose de philosophie: « Je n’exerce pas de contrôle sur ce qui se passe. J’essaie de travailler avec des gens de valeur, et ça me mène où je dois aller… »

Une stratégie qui ne lui a pas trop mal réussi et qui lui vaut donc ces jours-ci d’incarner en James Lord un personnage essentiellement passif, pas le défi le plus évident pour un comédien. « Il était vraiment introverti. C’était un voyeur, il aimait regarder, observer, étudier, après quoi il rentrait chez lui rédiger des notes abondantes où il recensait jusqu’au moindre détail ce qui s’était produit. Qualité qui en faisait, je pense, un si bon biographe (outre celle de Giacometti, on lui doit une biographie de Picasso, NDLR). Bien sûr, il avait un attachement émotionnel à l’égard de ses sujets, mais il était aussi en mesure de rester fort impartial. Donc, mon travail a beaucoup consisté à observer. Mais quand on a face à soi un acteur comme Geoffrey Rush, ça n’a rien de bien difficile. »

Un profil éclectique

Armie Hammer s’est du reste senti comme un poisson dans l’eau dans un environnement où l’art occupait les esprits comme les conversations. S’il ne se considère pas comme un spécialiste, l’acteur est collectionneur à ses heures, avec une prédilection pour les peintres contemporains de Los Angeles. « Je suis ouvert à différents styles, je choisis des toiles qui me parlent, devant lesquelles il peut m’arriver de m’arrêter un moment jusqu’à ressentir une certaine plénitude. Il y a un mouvement peu glorieux qui gangrène le monde de l’art, qui voudrait qu’il ne soit là que pour le profit et le commerce, ravalé au rang d’une marchandise. Ça ne m’intéresse absolument pas, au contraire du fait qu’il puisse générer un sentiment ou une émotion. » Éclectique, l’acteur l’est également par ses choix de carrière, comme l’illustre une filmographie où le drame historique (The Birth of a Nation) côtoie la romance (Call Me by Your Name) et le blockbuster (The Lone Ranger) le polar indie (Free Fire, qu’il décrit, non sans à-propos comme un Reservoir Dogs sous méthamphétamine). « Honnêtement, je ne fais qu’essayer de suivre le talent, et des gens avec qui je pense que j’apprécierai travailler, tout en apprenant quelque chose. J’aimerais pouvoir réaliser mes propres films, et observer différents styles de mise en scène est une chance exceptionnelle. On peut tourner un film avec David Fincher, qui va faire une centaine de prises d’une même scène, et se retrouver ensuite sur le plateau de Clint Eastwood, qui adopte une démarche exactement inverse. Et les deux méthodes peuvent s’avérer tout autant valables: le propre de l’art, c’est qu’il n’y a pas une façon noire ou blanche de procéder… »

Et si on le retrouve le plus souvent dans des drames intimistes, il confesse du reste avoir vécu des moments incomparables sur le méga-tournage de The Lone Ranger: « Ce fut sans conteste l’une de mes expériences les plus difficiles, mais je considère que ce fut un privilège, qui m’a valu de créer des amitiés durables, parce que nous avons traversé l’enfer ensemble. L’équipe comptait 400 membres, je connais chacun d’entre eux, et lorsqu’il nous arrive de nous croiser, on se tombe dans les bras en disant: « Man, c’était quelque chose. » Ce tournage a été complètement dingue, la cerise sur le gâteau aurait été que le film marche comme Pirates of the Caribbean. Ce n’est toutefois pas mon boulot, mais celui de Disney. Le mien, c’était de tourner le film, et j’ai passé un moment inouï. Si je m’en faisais trop pour le box-office ou l’accueil critique, je perdrais de vue ce pourquoi je fais ce métier: je l’ai choisi, non parce que j’avais envie de rapporter autant d’argent sur le week-end d’ouverture, mais parce que j’aime tourner des films, et que je ne peux m’imaginer faisant autre chose… » L’enfance de l’art, en somme.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content