Armando Iannucci: « On n’en a pas fini avec les dictatures »

Casting de rêve dans The Death of Stalin d'Armando Iannucci. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Armando Iannucci signe avec The Death of Stalin une satire politique irrésistiblement drôle et significative.

Depuis Jonathan Swift, la satire politique extrême est devenue en Grande-Bretagne une riche et belle tradition. Certes, l’auteur des Voyages de Gulliver était irlandais, pas anglais, mais c’est bien lui qui lança définitivement le mouvement avec ses pamphlets géniaux, dont Modeste Proposition pour les enfants pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public de 1729, où il suggérait ironiquement, pour remédier à la famine en Irlande, que les gens se servent des nourrissons comme source d’alimentation… Armando Iannucci s’inscrit dans cette ligne d’humour agressif, énorme, provocateur. Ce diplômé de la prestigieuse université d’Oxford, inspiré en partie par les Monty Python, s’est multiplié à la radio et surtout à la télévision (The Armando Iannucci Shows sur Channel 4, The Thick of It sur la BBC), mais aussi sur scène et au cinéma (In the Loop). Rien d’étonnant à ce qu’on lui ait proposé d’adapter au grand écran la bande dessinée La Mort de Staline des Français Fabien Nury et Thierry Robin (1).

« Je travaillais à l’idée d’un film sur un dictateur d’aujourd’hui, un dictateur fictionnel, se souvient le quinquagénaire , quand on m’a envoyé la BD en me demandant si ça m’intéresserait d’en faire un film. Dès les premières pages, j’ai compris que c’était l’histoire qu’il me fallait raconter. C’était d’autant plus horrifique que c’était vrai. Et potentiellement très drôle, évidemment! » Iannucci s’est lancé dans des recherches à propos de Staline, de la Russie de l’époque (1953). « Je me suis rendu à Moscou, au Kremlin et dans la datcha de Staline, explique-t-il. J’ai aussi parlé à beaucoup de gens et je me suis immergé dans les biographies, dans la correspondance avec sa fille Svetlana, aussi. J’ai trouvé tellement de trucs dingues que je me suis empressé de les mettre dans le film. »

Armando Iannucci:

« Complot occidental »

Très vite, il a paru clair à l’humoriste anglais que « le meilleur moyen d’être drôle était de tout jouer au premier degré, avec le sérieux le plus absolu, comme quelque chose de vrai, car la réalité dépassait en folie ce qu’on aurait pu inventer« . Iannucci a envoyé aux acteurs le message suivant: « Jouez comme si votre vie en dépendait! » Ce qui ne manque pas de sel, sachant la terreur et l’extrême sentiment d’une potentielle mort imminente (et brutale) qui habitait les hiérarques présents autour du cadavre encore chaud… Le réalisateur n’oubliera jamais son excitation à voir réunis à la même table, pour une première lecture, l’ensemble des interprètes d’un casting de rêve (Steve Buscemi, Michael Palin, Paddy Considine, Rupert Friend, Jeffrey Tambor…). « C’était super excitant, se rappelle-t-il, chacun d’entre nous n’en revenait pas d’être avec les autres dans la même pièce. Il y avait beaucoup d’admiration et de plaisir réciproques. Des amitiés se sont nouées. Ils se voient pour dîner une fois par trimestre. »

Les réactions au film en Russie furent, elles, tout sauf amicales. La licence accordée au film fut révoquée deux jours avant sa sortie. « Quelqu’un au Ministère de la Culture a dû paniquer, se dire qu’en haut lieu on pourrait lui reprocher d’avoir laissé le film sortir« , regrette Iannucci. Les langues se délièrent en Russie, parlant d’un « acte inamical de la classe intellectuelle britannique« , d’un « complot occidental visant à déstabiliser la société russe » et pire encore. Armando en sourit: « C’est tellement bizarre de les entendre s’en prendre au film avec des mots qui semblent tout droit sortis de ses dialogues. Ils sont très XXe siècle, en fait… » Et la popularité de Staline a trouvé un équivalent dans la toute-puissance de Vladimir Poutine au Kremlin. On a les grands hommes qu’on peut, partout dans le monde. « Des spectateurs venus du Zimbabwe ont reconnu dans le film des choses qu’ils vivaient eux-mêmes au présent« , constate le cinéaste, qui n’a qu’à tourner les yeux vers la Corée du Nord pour constater l’actualité de ce qu’il expose avec l’humour le plus grinçant. « On n’en a pas fini avec les dictatures, conclut Iannucci, d’autant qu’on voit de plus en plus de présidents élus démocratiquement -dont Trump- vouloir changer les règles pour accroître leur pouvoir… »

(1) Parue en 2010 chez Dargaud.

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