Christopher Nolan: « 2001: A Space Odyssey m’a fait découvrir que le cinéma était capable de tout »

2001: A Space Odyssey est à redécouvrir en 70 mm et, en Belgique, en 4 K. Une oeuvre toujours aussi forte et visionnaire. © dr
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

2001: A Space Odyssey, le chef-d’oeuvre de Stanley Kubrick, ressort sur les écrans. En cinquante ans, le film qui a révolutionné le cinéma n’a pas pris une ride.

C’est incontestablement l’événement cinéphile de l’été: la ressortie, en version 4K, de 2001: A Space Odyssey, chef-d’oeuvre absolu tourné par Stanley Kubrick en 1968, un film qui devait changer à jamais la face du septième art. Difficile d’imaginer l’impact qu’a pu avoir ce classique sur ses premiers spectateurs. A cinquante ans de distance, la force de 2001 reste toutefois intacte, sa puissance visionnaire aussi. Qui plus est, on ne peut redécouvrir cette toile sans mesurer l’influence qu’elle a exercée sur un bon pan de la production à suivre, et jusqu’à Gravity, d’Alfonso Cuaron, ou Interstellar, de Christopher Nolan.

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Conditions identiques

Le réalisateur britannique est d’ailleurs l’une des chevilles ouvrières de cette ressortie, comme il l’expliquait lors d’une masterclass donnée à l’occasion du dernier festival de Cannes, où le film était présenté dans une splendide copie 70 mm (malheureusement pas le format dans lequel on peut le voir sur les écrans belges mais la 4K restitue les qualités de l’original). Et de revenir sur les circonstances ayant conduit à cet événement: « L’été dernier, après la sortie de Dunkirk, nous avons eu l’idée avec la Warner de travailler sur une conversion en 4K et en HDR de sept de mes films, pour leur ressortie en Blu-ray. Comme cette transformation était inédite, il nous a fallu procéder en installant des projecteurs 35 et 70 mm, pour pouvoir vérifier la conformité de l’image 4K avec les images d’origine. Lorsque nous étions en train de faire ce travail, Ned Price, de la Warner, nous a proposé, à Hoyte Van Hoytema, mon chef-opérateur, et moi, de voir deux bobines de 2001: A Space Odyssey qu’il avait sous la main. Nous les avons bien sûr regardées, mais sans le son, pour redécouvrir la magie de ces images telles que Kubrick les avait conçues en 1968. De fil en aiguille, nous nous sommes dit que, le 50e anniversaire du film approchant, ce serait un très beau cadeau à faire aux cinéphiles d’aujourd’hui de leur en proposer une restauration. Non pas en numérique, mais en 70 mm, pour qu’ils puissent le redécouvrir comme ils auraient pu le faire s’ils avaient été spectateurs dans les salles à l’époque. »

Symphonie en quatre temps

A l’inverse donc de la majorité des restaurations, 2001 n’a pas fait l’objet d’une numérisation dans un premier temps, ce procédé permettant d’enlever les défauts de fabrication dus à la pellicule, poussières, rayures et autres. « On les nettoie mais on transforme le support, poursuit Christopher Nolan, ce qui revient à offrir une expérience différente aux spectateurs potentiels. Nous avons donc pris le parti de la non-restauration de la copie, et de préserver le même mode de fonctionnement, en recréant un négatif 70 mm pour donner des conditions de projection identiques. Et nous avons, par chance, eu accès aux notes qui nous ont permis de retrouver le même type de pellicule et reproduire l’image telle que Kubrick a dû la voir et la faire poser. »

La redécouverte du film aujourd’hui produit un effet de l’ordre de la sidération, tant l’ambition du projet, son audace et son aboutissement restent sans équivalent, Stanley Kubrick ne révolutionnant pas seulement la science- fiction mais le cinéma dans son ensemble. Pour mémoire, 2001 se présente comme une symphonie en quatre temps : le premier, à l’aube de l’humanité, il y a quatre millions d’années d’ici, voit des primates découvrir un monolithe noir dont la présence va modifier leur comportement, inspirant à leur chef de se servir d’un os comme d’une arme. Le second se situe en 2001, quand un savant américain est expédié sur la Lune, dans le cadre d’une mission secrète: enquêter sur la présence d’un monolithe noir mis au jour lors de fouilles. Le troisième volet nous emmène dix-huit mois plus tard, à bord du vaisseau Discovery, en route pour Jupiter avec à son bord cinq astronautes, dont trois en hibernation, l’ordinateur Hal 9000, doué d’intelligence et chargé du contrôle de la mission, adoptant un comportement étrange. Enfin, l’ultime mouvement entraîne un astronaute dans un espace-temps vertigineux, ponctuant le film en mode circulaire, non sans ouvrir un large champ spéculatif – inépuisé, d’ailleurs, à ce jour, et l’on peut à loisir trouver au film des interprétations métaphysiques.

Porté par le rythme des valses de Strauss, 2001 affirme d’emblée son ambition cosmique – c’est l’odyssée de l’espèce qui s’esquisse devant les yeux du spectateur dans cette oeuvre foisonnante, questionnant encore la présence d’une autre forme de vie dans l’univers quand elle ne sonde pas une intelligence artificielle qui, depuis, n’appartient plus à la SF. Autant que par la richesse (et le mystère) de son scénario, écrit par Kubrick avec le romancier Arthur C. Clarke, les deux hommes y consacrant pas moins de 2400 heures, au départ de recherches, de lectures innombrables, mais aussi de l’apport de scientifiques engagés comme consultants, le film n’en finit plus d’impressionner par sa mise en scène.

Foetus astral

Ainsi, déjà, de ce moment cultissime où, lancé en l’air, un os préhistorique se transforme en vaisseau intersidéral, sans doute l’ellipse la plus fameuse de l’histoire du cinéma, venue propulser le film, et le spectateur avec lui, en apesanteur dans un espace d’une souveraine beauté. Ou encore l’évolution dans les modules spatiaux, et le recours à la gravité centrifuge. Sans même parler des séquences psychédéliques, sublimées par les effets visuels imaginés par Douglas Trumbull, accompagnant l’arrivée dans l’orbite de Jupiter. Et jusqu’au foetus astral ponctuant l’hallucinant trip final – rarement film de science-fiction réaliste a-t-il embrassé un tel imaginaire. Visionnant les rushes du film à l’époque, James Harris, partenaire de longue date de Kubrick dont il avait produit L’Ultime razzia, Les Sentiers de la gloire et Lolita, déclara: « Ce film va être le premier à propos duquel les spectateurs diront en sortant de la salle qu’ils n’ont jamais rien vu de pareil, et ce sera parfaitement juste. » Cinquante ans plus tard, le sentiment persiste, et s’il a été souvent cité, 2001 n’a jamais été égalé, loin s’en faut.

« Ce que ce film m’a fait découvrir, c’est que le cinéma était capable de tout. Qu’il n’y avait pas de limite ni d’impossible, le possible au cinéma ne tenait qu’à notre imaginaire et à notre propre volonté, puisque Kubrick avait réussi, en 1968, à se débarrasser complètement de toutes les règles qui lui étaient imposées et à réinventer le cinéma », observait encore Christopher Nolan. On ne saurait mieux dire…

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