68e édition du Festival de Cannes: Jaco Van Dormael retrouve la croisette pour le Tout Nouveau Testament

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Le Festival de Cannes s’ouvrira mercredi avec La Tête haute d’Emmanuelle Bercot. Tendances d’une 68e édition qui verra Jaco Van Dormael retrouver la croisette pour le Tout Nouveau Testament.

Beaucoup d’appelés et peu d’élus: empruntée aux Evangiles, la formule s’applique en tout état de cause au festival de Cannes, temple du glamour et des paillettes, mais encore rendez-vous incontournable et, partant, fort prisé, du calendrier cinéphile. Aussi, le petit jeu des spéculations autour de la sélection commence-t-il traditionnellement dès le mois de septembre, et la Mostra de… Venise, pour céder la place aux rumeurs insistantes en février, lors de la Berlinale, la conférence de presse du délégué général du festival, mi-avril, venant mettre un terme au suspense. Pour le millésime 2015, ce sont ainsi pas moins de 1854 films qu’auront visionnés Thierry Frémaux et son équipe afin d’établir la sélection officielle. Soit, à l’arrivée, 19 films en compétition, autant à Un Certain Regard, plus une poignée d’autres, présentés hors compétition, ou encore en séances spéciales et de minuit. Et, forcément, du grain à moudre à n’en plus finir.

La Tête haute, d'Emmanuelle Bercot
La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot© DR

Renouvellement des cadres

Il y a là, en effet, son lot de surprises voire d’audaces, comme celle voulant qu’une femme -une première depuis Diane Kurys et Un homme amoureux, en 1987-, la Française Emmanuelle Bercot en l’occurrence, ouvre la manifestation avec La Tête haute, son deuxième long métrage et un film d’auteur(e). Ce qui devrait changer des Grace de Monaco et autre Da Vinci Code de triste mémoire, sans pour autant infléchir la tendance actant que le festival reste une affaire essentiellement masculine, côté cinéastes s’entend: elles ne sont ainsi jamais que deux réalisatrices, Maïwenn et Valérie Donzelli, à avoir forcé les portes de la compétition cette année, soit autant (ou plutôt aussi peu) qu’en 2014. On rappellera encore pour mémoire que Jane Campion reste la seule femme lauréate de la Palme d’Or -c’était il y a 22 ans déjà, pour The Piano. A l’inverse, une autre tendance tient à une volonté manifeste de renouvellement des cadres: neuf réalisateurs feront leurs premiers pas dans une compétition qui accueille par ailleurs avec Saul Fia, d’ores et déjà annoncé comme le film-choc du festival, les débuts du Hongrois Laszlo Nemes… Habitués de la section-reine, les Gaspar Noé, Arnaud Desplechin, Naomi Kawase, Brillante Mendoza ou Apichatpong Weerasethakul, s’ils sont toujours conviés à la fête, se retrouvent qui à Un Certain Regard, qui à la Quinzaine, qui en séance de minuit.

Dheepan d'Audiard
Dheepan d’Audiard© DR

D’un point de vue géographique, et s’agissant de la compétition toujours, la sélection présente par ailleurs un ancrage européen évident, onze des 19 films concourant à la Palme d’Or étant issus du Vieux continent. Privilège du pays hôte: on trouve, parmi ceux-là, cinq productions françaises. Mais si l’on attendait assurément Jacques Audiard (Dheepan) ou, dans une moindre mesure, Maïwenn (Mon roi), les présences, à ce niveau, de Valérie Donzelli (Marguerite et Julien), Stéphane Brizé (La Loi du marché) et Guillaume Nicloux (Valley of Love, avec le tandem Huppert-Depardieu, reformé 35 ans après Loulou de Pialat) sont autant de premières. Autre cinématographie particulièrement choyée, l’Italie qui, signe d’une vitalité retrouvée, envoie un brelan d’as sur les marches, à savoir Nanni Moretti (Palme d’Or pour La Chambre du fils, et qui propose Mia Madre), Paolo Sorrentino (Youth) et Matteo Garrone (Il racconto dei racconti). Le Hongrois Laszlo Nemes, le Grec Yorgos Lanthimos (The Lobster) et le Norvégien Joachim Trier, avec Louder than Bombs, une production internationale, complètent par ailleurs cette imposante représentation européenne. Dix-neuf moins onze, restent huit prétendants à la Palme. Ils se répartissent entre Etats-Unis, réduits à la portion congrue -Todd Haynes, avec Carol, et Gus Van Sant, palmé en son temps pour Elephant, et de retour avec Sea of Trees, mais aussi le Canadien Denis Villeneuve, avec Sicario, une production américaine-, Mexique (Chronic de Michel Franco) et Australie (Macbeth de Justin Kurzel). A qui s’ajoutent trois maîtres asiatiques, le Chinois Jia Zhang-ke (Mountains May Depart), le Taïwanais Hou-Hsiao-hsien (The Assassin) et, last but not least, le Japonais Hirokazu Kore-eda (Notre petite soeur), autant d’auteurs pour qui le festival n’a guère de secrets…

Il racconto dei racconti
Il racconto dei racconti© DR

Ailleurs, sur les écrans cannois

Si l’Europe squatte la compétition, le continent asiatique truste pour sa part les écrans de Un Certain Regard, avec une petite dizaine de films venant de diverses latitudes, parmi lesquels ceux de Apichatpong Weerasethakul, Palme d’or pour Uncle Boonmee, et dont l’on découvrira le Cemetery of Splendour, Brillante Mendoza (Taklub), Kiyoshi Kurosawa (Vers l’autre rive) ou Naomi Kawase, dont le An ouvrira une section qui s’annonce résolument aventureuse. A leurs côtés, la Française Alice Winocour, les Roumains Radu Muntean et Corneliu Porumboiu, ou le Colombien José Luis Rugeles Gracia, mais encore Yared Zeleke, auteur, avec Lamb, du premier film éthiopien jamais présenté en sélection officielle. A l’autre bout du spectre, et hors compétition s’entend, on pointera aussi le dernier né des studios Pixar (Inside Out de Pete Docter), le retour pétaradant de Mad Max dans Fury Road, ou celui de Woody Allen, avec son Irrational Man. Autre film fort attendu, le Love de Gaspar Noé est pour sa part présenté en séance de minuit, au même titre que Amy, documentaire consacré par Asif Kapadia à Amy Winehouse, tandis que le premier long métrage de Natalie Portman, Une histoire d’amour et de ténèbres, d’après Amos Oz, sera montré en séance spéciale, tout comme l’Amnesia de Barbet Schroeder ou Oka, de Souleymane Cisse…

Carol
Carol© DR

C’est là le privilège du plus grand festival de cinéma au monde: les sections parallèles n’y ont guère à rougir face à la sélection officielle. C’est certainement vrai de la Quinzaine des Réalisateurs qui, pour sa 47e édition, propose un plateau particulièrement relevé. L’Ombre des femmes de Philippe Garrel, présenté en ouverture, Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin, Much Loved de Nabil Ayouch, Green Room de Jeremy Saulnier, Les Mille et une nuits, film en trois parties totalisant six heures, de Miguel Tabu Gomes, sans oublier Le Tout Nouveau Testament de Jaco Van Dormael, avec Catherine Deneuve et Benoît Poelvoorde: il y a là autant de films que l’on brûle de découvrir. La Semaine de la Critique, refuge privilégié des auteurs en devenir, puisqu’elle accueille des premières et deuxièmes oeuvres, ne s’annonce guère moins alléchante, qui débutera sous le signe des Anarchistes d’Elie Wajeman, pour proposer ensuite La Tierra y la sombra du Colombien César Augusto Acevedo, Mediterranea de l’Italien Jonas Carpignano ou encore Les Deux amis de Louis Garrel, avec l’inénarrable Vincent Macaigne…

Le Tout Nouveau Testament
Le Tout Nouveau Testament© DR

Un mot, enfin, du festival des Belges. Près de 20 ans après Le Huitième jour, Jaco Van Dormael retrouve donc la Croisette avec Le Tout Nouveau Testament, son quatrième long métrage, présenté à la Quinzaine, là où tout avait débuté pour Toto le héros; un retour dont on se réjouit d’autant plus qu’il survient après l' »affaire » Mr. Nobody. Nulle trace, par contre, des Chevaliers blancs de Joachim Lafosse, et c’est là, bien sûr, une déception. Restent plusieurs coproductions –Je suis un soldat de Laurent Larivière à Un Certain Regard, Les Cowboys de Thomas Bidegain à la Quinzaine, Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore à la Semaine de la Critique-, et deux courts métrages en sélection officielle, Het Paradijs de Laura Vandewynckel et Copain de Jan et Raf Roosens, comme autant de promesses de lendemains souriants…

 Ethan Coen, Joel Coen
Ethan Coen, Joel Coen© AP

Les Coen, duo présidentiel

C’est une première dans l’histoire du festival: le jury n’aura pas un mais bien deux présidents, à savoir les Américains Joel et Ethan Coen. Succédant à Jane Campion dans cette lourde tâche, les deux frères débarquent en terrain connu, eux dont la longue histoire cannoise est balisée d’une Palme d’Or (Barton Fink, 1991), de deux Prix de la mise en scène (Fargo, en 1996, et The Man Who Wasn’t There, en 2001) et d’un Grand Prix du jury (Inside Llewyn Davis, en 2013). Les Brothers retrouveront par ailleurs de vieilles connaissances sur la Croisette, et notamment Roger Deakins, directeur de la photographie sur la grande majorité de leurs films depuis Barton Fink, à qui un hommage sera rendu pendant le festival.

Les Coen sont aussi l’objet d’une actualité éditoriale avec la parution de Je suis un Lebowksi, tu es un Lebowski, ouvrage dédié, on s’en serait douté, au plus allumé de leurs films, The Big Lebowski (lequel, pour la petite histoire, avait vu les frangins faire une infidélité à Cannes, puisqu’il avait été présenté à Berlin). Ecrit par des fans -les quatre organisateurs du Lebowksi Fest qui réunit une fois l’an tout ce que la planète compte de « dude-freaks » ou peu s’en faut- pour les fans, c’est là une bible à savourer avec, à portée de main, un White Russian, la recette du cocktail étant fort obligeamment fournie. Interviews joyeusement délirantes des protagonistes (Jeff Bridges, John Goodman…) et de ceux ayant inspiré les personnages (et notamment de John Milius, le scénariste de Apocalypse Now, l’un des modèles de Walter Sobchak), lexique français-Achiever, guide des lieux de tournage, conseils pour dudifier son espace de travail…: il y a là un ouvrage aussi hilarant qu’essentiel, un concentré de « Dude attitude » tout simplement irrésistible.

JE SUIS UN LEBOWSKI, TU ES UN LEBOWSKI. DE BILL GREEN, BEN PESKOE, WILL RUSSELL ET SCOTT SHUFFITT, ÉDITIONS SÉGUIER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR CATHERINE BIROS, 264 PAGES.

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