Tous les genres sont dans la culture? « Sense8 et Transparent devraient être la norme »

L'affiche du festival Tous les genres sont dans la culture, a été dessinée par l'artiste Paolozagara. © Paolozagara / Genres Pluriels

Le festival organisé par Genres Pluriels à Bruxelles et en Wallonie permet de donner de la visibilité aux différentes identités de genre depuis dix ans. Cette année, Tous les genres sont dans la culture revient du 18 au 26 novembre, le temps de quelques conférences, ateliers, et projections. Héloïse Guimin-Fati, l’une des co-administratrice de l’association, fait le point.

Tous les genres sont dans la culture ouvre un espace de discussion autour des différentes identités de genre, des personnes intersexué(e)s(1), aux genres fluides(2), en passant par les transgenres(3). L’évènement fête cette année ses dix ans avec des conférences mais aussi des projections, étalées sur plus d’une semaine.

Héloïse Guimin-Fati a rejoint l’association Genres Pluriels, organisatrice du festival, il y a plus de trois ans. Elle est maintenant co-administratrice du groupe avec trois de ses collègues et co-organise des permanences à Liège, une fois par mois. Elle est également co-responsable de l’Observatoire des transidentités depuis le mois de septembre. Elle revient avec nous sur le rôle de Genres Pluriels et du festival belge, et la représentation médiatique et culturelle, souvent discutable, des transidentités.

Quel est le rôle du festival Tous les genres sont dans la culture?

C’est la visibilité. Nous souhaitons montrer que les personnes trans font partie de la société, y vivent et qu’elles ont un rôle à y jouer, de manière individuelle mais aussi activiste. Chaque année, l’évènement donne un coup de projecteur sur une situation difficile. Cette fois, nous aborderons donc le cas des personnes intersexué(e)s, qui, par exemple, continuent à être mutilées par des équipes médicales. Le 25 novembre, le documentaire Entre deux sexes sera diffusé, suivi d’un débat autour de l’intersexualité. En tout, onze activités sont prévues durant le festival, comme des ateliers de féminisation ou « Trans* pour les nulLEs », dans lequel on explique ce qu’est la transidentité à des publics non-initiés. Des conférences seront également menées, comme sur le transféminisme et la transsectionnalité le 18 novembre, ou autour des personnes transgenres dans un contexte de migration le 23 novembre, en lien avec l’association Merhaba. Il y a une démarche pédagogique, de partage de savoirs. Mais on fête également les dix ans avec une soirée d’ouverture le 18 novembre.

Les diverses identités de genre sont-elles bien intégrées en Belgique?

En partie oui. Une nouvelle loi, qui entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2018, permettra aux personnes trans adultes de pouvoir changer de genre sur leurs documents d’identité, sans passer par un psychiatre, avec une simple déclaration de la personne concernée. Nous en discuterons d’ailleurs au festival, le 20 novembre. Nous avons été consultés par le SPF Justice et le SPF Egalité des chances pour donner notre avis. Pendant deux ans, nous avons collaboré avec des associations comme la Ligue des droits de l’homme, Arc-en-ciel Wallonie ou Amnesty International pour présenter une loi convenant aux personnes trans et permettant de régler la majorité de leurs soucis quotidiens comme la transphobie, les discriminations à l’embauche, les problèmes médicaux… Le gouvernement a élaboré sa propre loi, centrée autour du changement de sexe sur les papiers administratifs. Une dizaine d’amendements ont été proposés mais aucun n’a été accepté. On est un peu amers, dans le sens où il y a des avancées – c’est indéniable, notamment par rapport à la dé-psychiatrisation du processus -, mais cela reste fermé aux mineurs. On ne voit pas pourquoi un gosse de 16 ou 17 ans ne serait pas capable de définir par lui-même quel est son genre alors qu’il est responsable devant la justice pour tous les autres actes. Et la loi laisse un vide juridique au niveau médical puisque, par exemple, un homme trans qui aurait gardé ses ovaires et son utérus, ne saura pas s’il peut se faire rembourser les soins nécessaires, en cas de cancer notamment.

Mais la situation est meilleure qu’en France par exemple, où la loi est plus rigide?

Oui, tout à fait. En Belgique ce ne sera plus un juge qui statuera sur le sort des personnes trans. En France, il faut toujours prouver qu’on l’est avec tout un dossier attestant que la personne vit bien dans le genre qu’elle s’est choisi. Là, avec la nouvelle loi belge, on ne demande plus aucune preuve, la seule déclaration suffit pour changer le marqueur de genre ou le prénom, ou les deux. Il y aura simplement des vérifications sécuritaires pour savoir si nous ne sommes pas des terroristes ou recherchés par Interpol. Cependant, ça reste un domaine très médicalisé, ce qui est en partie normal puisqu’on réalise des modifications de notre morphologie, même si tous les trans ne le font pas, bien entendu. Et ce volet santé n’a pas été discuté au niveau du gouvernement fédéral, puisque le SPF Santé et Maggie De Block ont refusé de participer à la table ronde, et c’est dommageable. Donc la Belgique reste dans les normes classiques à ce niveau-là. Mais petit à petit, grâce aux associations et au travail réalisé au niveau international depuis pas mal d’années, les médecins eux-mêmes commencent à réfléchir autrement. Cela permet d’offrir aux personnes transidentitaires des alternatives aux équipes de genre, des cellules médicales qui sont très psychiatriques et pathologiques.

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Qu’en est-il de la représentation des transidentités dans le cercle médiatique?

Récemment, deux documentaires, Devenir il ou elle sur France 5 et Fille ou garçon, le dilemme des transgenres sur M6, ont été diffusés à la télévision. Dans ces deux exemples, le traitement de la situation est binaire: on devient un homme ou une femme. Il y a cette idée du passage d’une case à l’autre, d’une espèce de retour à la normale après ça. On soigne les gens, parce qu’il y a toujours cette idée que c’est une psycho-pathologie. On interroge régulièrement un expert, qui n’est pas du tout une personne transidentitaire, pour valider la transformation. Mais ce ne sont donc pas les trans qui parlent. Ils s’expriment, mais ce ne sont pas eux qui produisent l’image d’eux-mêmes. Donc on va avoir des archétypes de la femme trans: généralement blanche, jeune, préoccupée par son traitement mais aussi son corps. Elle doit être coquette, élégante, s’inquiéter de son maquillage, de ses vêtements… Tout est ramené à ça mais on ne se pose même pas la question de savoir comment on appréhende son propre corps et sa métamorphose. Et le problème, ce n’est pas qu’il y ait des personnes trans qui vivent leur féminité comme ça, mais c’est un archétype qu’on voit tout le temps et c’est une catastrophe. Par exemple, l’activiste américaine et femme trans Julia Serano devait être interviewée par une chaîne de télévision. Mais lorsqu’elle s’est présentée à l’enregistrement, elle était habillée en jean et pull, sans maquillage ni bijou. Et elle n’a finalement pas été interrogée, parce que le stéréotype de la femme trans doit rassurer les personnes cisgenre(4) dans ce qu’elles pensent de la féminité. Les femmes trans sont invitées à s’y conformer pour être légitimes, ce qui est absurde.

Et c’est la même chose pour les hommes trans, qu’on représente par une puissance virile, en faisant du sport notamment. Ça pose plus de questions sur la manière dont les personnes cisgenres voient le corps que comment nous on le voit en tant que trans finalement.

Et dans le milieu artistique?

Dans des séries comme Sense8 et Transparent, on a une exposition des personnes transidentitaires qui devrait être la norme. Elles ne sont pas uniquement vues à travers leur transition mais à travers ce qu’elles sont dans la société, leurs rapports familiaux et au monde extérieur. Mais ce n’est pas innocent puisque les soeurs Wachowski, elles-mêmes trans, sont à la base de Sense8. Et Jill Soloway, la créatrice de Transparent, a un parent trans et se définit comme non-binaire, au genre fluide. Donc si le traitement est différent, c’est parce que ce sont des personnes concernées qui en parlent. Pour faire une comparaison avec la condition des femmes, parce que je trouve qu’il y a énormément de points communs avec les destins trans, quand Balzac évoque les femmes, il en parle en tant qu’homme privilégié et bourgeois du XIXe siècle. Par contre, lorsque Virginia Woolf écrit sur les femmes, ce n’est pas du tout pareil.

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Et au niveau de l’art, les personnes transidentitaires peuvent réagir de deux manières différentes: soit s’appuyer sur leurs particularités trans pour avoir une démarche militante et exprimer une position politique ou soit simplement considérer que ça ne les différencie pas fondamentalement des autres. L’art trans en Belgique est encore embryonnaire et individuel. Mais on commence à sortir du bois, doucement et il faudra du temps avant qu’il y ait vraiment un mouvement bien visible et que les personnes trans puissent être moteurs de leurs propres destins dans l’espace public. La culture est un vecteur de changement, de questionnement et peut montrer des chemins. Et nous avons notre place pour montrer qu’en réalité nous ne sommes pas des malades mentaux, ni des personnes abjectes ou perverses. Nous sommes tous des êtres humains.

Quel est le rôle de Genres Pluriels dans l’accompagnement des personnes transidentitaires?

L’association est d’abord un lieu d’accueil et d’entraide, pour les personnes trans et intersexué(e)s, en questionnement ou en demande de soutien. Nous avons une demande exponentielle pour des entretiens thérapeutiques ou psychologiques. Ce n’est pas toujours évident parce que nous ne sommes qu’une quinzaine de personnes, la majorité bénévoles, et tout le monde n’est pas prêt à donner un soutien comme celui-ci. Certaines histoires sont très dures. Et pour certaines personnes, nos permanences sont les seuls lieux où elles peuvent se socialiser en tant que femme ou homme trans, sans être jugés ni avoir l’obligation de se justifier et se légitimer. Chacun(e) vient et exprime sa particularité comme bon lui semble.

Salammbô Marie

(1) dont les organes génitaux ou les taux hormonaux, par exemple, ne peuvent pas être catégorisés comme « mâle » ou « femelle » par la médecine.

(2) qui ne se définissent pas par un genre en particulier

(3) dont le genre ressenti ne correspond pas à celui de sa naissance

(4) par opposition à transgenre, qui définit une personne dont le genre ressenti correspond à celui de sa naissance

Festival Tous les genres sont dans la culture, du samedi 18 au dimanche 26 novembre 2017, à Bruxelles et en Wallonie. Programme complet ici.

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