L’oeuvre de la semaine : dans l’oeil du miroir

© Convex Mirror. Kelmscott Manor. C Society of Antiquaries of London (Kelmscott Manor). Andy Stammers Photography.
Guy Gilsoul Journaliste

Dans sa demeure de Chelsea, le peintre Pré-Raphaélite Gabriel Dante Rossetti s’était entouré de 25 miroirs dont 9 convexes. La fascination qu’il vouait à ces derniers remontait à l’heure de son apprentissage dans l’école d’art.

A cette époque, en 1845, celle-ci était jumelée avec les collections de la National Gallery dont la richesse tenait aux oeuvres de Raphael et de l’école italienne du XVIe siècle montrées en exemples. Or, deux ans avant son inscription, l’institution muséale révèle au public sa dernière acquisition : le célèbre tableau des frères Van Eyck, « Les époux Arnolfini ».

Pour le jeune rebelle fasciné par le Moyen-âge et ses corporations d’artistes, l’oeuvre du peintre flamand créée en 1434 est une révélation. Tout ce qui fera l’esthétique Pré-Raphaélite s’y trouve : le sujet d’abord associé à une suite de détails symboliques dont il faut lire les secrets messages. La couleur ensuite, vive et lumineuse ou encore la manière, méticuleuse et lisse. Enfin, il y a dans ce tableau, entre les deux époux, la présence d’un miroir convexe dont l’intérêt est double. D’abord, sa réalisation qui, à l’encontre des habitudes liées aux règles de la perspective provoque un espace illusionniste non plus associé aux connaissances de la géométrie mais aux seuls pouvoirs de l’observation. Ensuite, l’ambiguïté de l’espace enclos dans ce cercle qui invite à deviner une scène absente.

Dans le tableau de Gabriel Dante Rossetti (une oeuvre rare) peint avec des brosses d’aquarelle, l’intérieur de cette demeure d’un lettré livre une suite d’espaces fragmentés et en partie cachés par un écran de tissu finement ornementé. Si ce jeu de cache-cache s’inscrit à merveille dans le propos du mouvement anglais né en 1848, les jeux de miroir se découvrent aussi chez d’autres peintres qui de Rogier Van Der Weyden à PIstoletto en passant par Parmiggiano, Le Caravage, Vermeer, Velasquez, Fernand Khnopff, Manet, Magritte, Kusama ou Kapoor ont tous, par ce procédé, ajouter du mystère à leurs propos.

Mais dans l’exposition londonienne, la peinture de Rossetti s’intègre à un ensemble qui révèle l’influence de l’apparition dans les collections britanniques des « Epoux Arnolfini » non seulement auprès des grands acteurs de la Confrérie mais aussi dans les milieux de la classe moyenne qui, au même moment, découvraient, comme dans la peinture flamande du XVe siècle mais à travers la technique révolutionnaire des daguerréotypes, des images dont le réalisme des moindres détails se doublait d’une préciosité due à l’effet de miroir lisse induit par cette première technique photographique.

National Gallery. Trafalgar Square. Jusqu’au 2 avril. Tous les jours de 10h à 18 h. Vendredi et samedi jusqu’à 22h. Dimanche, jusqu’à 19h. www.nationalgallery.org.uk

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