Laurent Raphaël

L’édito: Élections, l’art à la rescousse

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« Si le programme de Macron paraît nettement plus fréquentable, il n’est pas pour autant neutre, ni socialement, ni économiquement, ni surtout philosophiquement. »

Si le premier round des élections présidentielles françaises a mis KO la particratie, il n’a pas pour autant laissé un grand vide. En une nuit, le peuple -un terme pompier dont raffolent nos voisins, surtout les soirs d’apparat- a enterré les idéologies du XXe siècle et jeté les bases d’une nouvelle géographie politique plus conforme aux aspirations, tensions et inquiétudes qui traversent une société numérique dans les cordes. Comme une mise à jour majeure du logiciel politique utilisé depuis 40 ans. Forcément ça secoue…

Si le programme de Macron parau0026#xEE;t nettement plus fru0026#xE9;quentable, il n’est pas pour autant neutre, ni socialement, ni u0026#xE9;conomiquement, ni surtout philosophiquement.

Au clivage traditionnel gauche-droite se sont ainsi substitués deux nouveaux pôles rebattant les anciennes cartes: mondialisation teintée de libéralisme soft d’un côté, nationalisme dopé au populisme hard de l’autre. Le premier vend du rêve (ouverture, progrès, croissance, bienfaits des nouvelles technologies et du commerce mondial…); le second du cauchemar (immigration, délinquance, valeurs en péril…). Si le programme de Macron paraît nettement plus fréquentable, il n’est pas pour autant neutre, ni socialement, ni économiquement, ni surtout philosophiquement. Dans les soutes de son avion supersonique, le candidat d’En Marche transporte une bombe néolibérale -qu’il ait collé dessus des stickers en faveur de l’Europe, de l’écologie ou des petites gens ne change rien à l’affaire-, dont le souffle efface les couleurs locales au profit d’une homogénéisation galopante des modes de vie et de pensée. Même dilués dans une tisane apaisante, l’argent et la réussite restent les moteurs d’un mouvement qui remet moins en cause le système qu’il ne cherche à le rendre plus efficace, plus performant dans le contexte actuel. Si l’on fait abstraction des perdants du 23 avril, réels comme Hamon ou symboliques comme Mélenchon qui a échoué à ouvrir une troisième voie, c’est comme si aujourd’hui, on n’avait plus le choix qu’entre le formatage à grande échelle des biens et services -celui qui a donné les clés de notre paysage mental et urbain à Starbucks, Facebook et consorts- et l’esprit de clocher ratatiné allergique à tout changement. Signe des temps, le face à face Clinton-Trump dégageait déjà les mêmes parfums rhétoriques.

Pour éviter de tomber dans le piège, il faut une fois de plus s’en remettre à la culture. Et en particulier à ces deux expositions bruxelloises qui nous ouvrent les yeux sur ce qui se joue réellement d’un côté comme de l’autre, avec cette force de suggestion poétique qui n’appartient qu’aux artistes. Au Wiels, qui fête ses dix ans à la proue de la création, on a sorti les couverts en argent avec une mise en abyme de ce que pourrait être un musée d’art contemporain idéal (Le Musée absent, jusqu’au 13/08). Loin de la conceptualisation pour la conceptualisation, les 47 artistes de tous horizons représentés ici arpentent les zones de friction du monde pour en débusquer l’horreur, les manipulations, les réminiscences, les dangers aussi, et ce à travers une variété réjouissante de formes… Marlene Dumas interroge le colonialisme dans ses tableaux peuplés de spectres, un faux documentaire de 1968 (qui aurait pu s’appeler Bye-Bye Bruxelles…) évoque la scission de Bruxelles entre Flamands et francophones, avec mur, présence de forces étrangères et tout le tintouin… Un état des lieux en prise directe avec les soubresauts de l’époque, une pierre jetée dans le jardin des petits esprits tentés par les oraisons funèbres des fossoyeurs de la diversité accrochés à leurs privilèges de race, par désespoir et/ou ignorance, comme des mollusques sur leur rocher.

Autre lieu -la Fondation Boghossian-, autre « procès », mais même résonance troublante avec l’actualité agitée du monde. Guidé par les mots polis et précieux d’Edouard Glissant, le tandem de commissaires Hans Ulrich Obrist-Asad Raza invite dans Mondialité (jusqu’au 27/08) à ne pas céder ni à la fatalité ni à l’aveuglement -et l’on pourrait ajouter même quand le discours tyrannique de la mondialisation prend les traits séducteurs d’un candidat jeune et bien intentionné. « Ce que l’on appelle mondialisation, qui est l’uniformisation par le bas, le règne des multinationales, la standardisation, l’ultra libéralisme sauvage sur les marchés mondiaux, pour moi c’est le revers négatif d’une réalité prodigieuse que j’appelle la mondialité« , écrivait le penseur martiniquais. Et le duo d’illustrer ses propos avec des oeuvres vantant la richesse du métissage. Comme ce drapeau en cheveux noirs flottant au vent côté jardin, évocation aussi bien de l’esclavage que détournement critique et métaphorique du patriotisme coincé. « Il faut apprendre à accepter l’opacité de l’autre« , plaidait encore le sage Glissant. En français dans le texte…

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